
Journal d’une famille confinée à Paris 19. Aujourd’hui, le bassin de la Villette est pris en grippe pour sa fréquentation, tandis que sa riche économie se grippe.
Ca ne suffisait pas de commencer à trouver le temps long dans les taules du XIXe, et d’entendre le président de la République nous annoncer qu’on y rempilerait pour un mois, voilà qu’on devait en plus être stigmatisés dans la presse comme de vulgaires Corona-touristes de la côte. Deux pages dans l’Equipe, excusez du peu, pour tirer à vue sur les joggeurs du bassin de la Villette, finement rebaptisé « quai des rhumes » (photo en en-tête).
On l’avait en effet prédit ici, dans un post précédent traitant du jogging, l’étrange ordre administratif cantonnant cet exercice avant 10h le matin et après 19h le soir a, c’est vrai, provoqué un embouteillage. Un homme le résume dans l’Equipe : « ça commence certains jours à ressembler au départ du marathon olympique ».
La police verbalise assez fermement et tente de ramener l’ordre du confinement tant bien que mal, en postant des patrouilles assez pléthoriques aux extrémités du bassin. Les télévisions ont désormais planté leurs caméras toute la journée, histoire d’avoir des images d’illustration des écervelés. C’était le cas de la chaîne liée au Kremlin, RT.
Mais il y aussi un peu tout le monde, notamment BFM TV, et les agences de presse. Du coup, les images font littéralement le tour du monde. Le titi parisien bedonnant du XIXe qui fait benoitement son jogging en soufflant comme une chaudière incarne désormais aux yeux de la planète le Français irresponsable.
Alors que ça aurait plutôt dû tomber sur un planqué d’Arcachon ou un demi-bourgeois de la Baule, qui s’empiffre par exemple des huitres sur un banc face à la mer en douce ou engloutit du muscadet en fraude avec ses voisins en prenant les embruns. Ces scènes auraient produit d’aussi belles images que celles de chez nous. Il n’y a vraiment aucune justice dans cette crise.
Conséquence en tous cas du pataquès, le maire de Paris Anne Hidalgo, co-auteure avec le préfet de police de la décision litigieuse limitant les horaires, est intervenue à la télé pour dire que, non, vraiment, ça n’allait toujours pas. “Si à 19h il y a trop de monde, eh bien, il faut sortir un peu plus tard. On peut aussi courir la nuit, à d’autres moments ou plus tôt le matin”, a-t-elle fait valoir.
A quand les créneaux par groupes d’immeubles organisés par la préfecture de police ? « Lambert, le créneau de 1h du matin, hein ». « Ah non, Dupond, hier je vous ai vu vers 20h, aujourd’hui c’est 22h ou tintin, hein, faut pas charrier ». « Lévêque, encore vous ? Je vous avais dit que le créneau de 7h est déjà pris, retournez au petit déjeuner et revenez ». Il serait temps que tout ça se termine, mais malheureusement ce n’est pas pour demain. Il est bien probable qu’un jour les Parisiens du 19 se voient totalement interdire de courir, et cloitrés pour de bon chez eux.
Il est vrai que des recherches récentes ont montré qu’un joggeur porteur du virus pouvait projeter des gouttelettes jusqu’à…. dix mètres. Cette pantalonnade n’est donc qu’à moitié drôle.
Tout cela est d’autant plus déplorable que cet endroit chéri de nous autres, sous-Parigots sans résidences secondaires restés dans nos taules, ce coin de bohème jadis ignoré des médias mondiaux, notre Brooklyn à nous que les touristes commençaient seulement à squatter vaguement, risque de prendre une sacré claque économique. En plus de devenir l’emblème des Jean-Foutre, il risque de perdre l’économie du loisir et du tertiaire qui commençait à y fleurir.
Mes fidèles lecteurs ont déjà eu une idée de l’économie des bistrots et des cafés et de son importance dans mon post sur mon ancienne habitude du gâteau au canal, au Biiim, désormais fermé. Ce secteur est menacé et bien d’autres affaires du bassin sont grippées. Ce débouché du canal de l’Ourcq, aménagé à l’origine par Léonard de Vinci, puis pérennisé par Napoléon Ier, servait à l’origine à amener l’eau potable et les marchandises dans Paris. Tandis que se poursuivait un actif commerce de la drogue place Stalingrad, toutefois stoppé par le confinement comme déjà narré aussi sur ce blog, s’installait progressivement une ambiance de station balnéaire, à nulle autre pareille à Paris.
Certes, le port de plaisance et ses 24 amarres sécurisées pouvant accueillir des bateaux de 15 mètres de long, à un prix pouvant aller jusqu’à 14.000 euros par an (voir ici le tableau) n’est a priori pas trop touché, puisqu’il est toujours plein et que l’argent rentre. Les plaisanciers sont juste un peu coincés, mais comme on n’en a vu très peu dans les cabines, on imagine qu’ils sont plutôt allés à la Baule ou au Croisic, dans leurs logements (on plaisante).

Ce port donne en tous cas des airs de mini-Saint Tropez à notre Paris des sacrifiés du Covid, comme ici. On y voit souvent des bateaux étrangers. Reviendront-ils ? Les circulations fluviales seront-elles maintenues dans la période « d’après » ? Pas sûr.

Le vrai sujet de préoccupation est cependant celui des péniches bars-spectacles, qui proliféraient depuis quelques années, au point de devenir un sujet de contentieux. Certaines sont de passage, d’autres installées en permanence et toutes proposaient des spectacles de théâtre, chant, etc.
Ce secteur a été développé par la mairie de Paris à partir de 2018, avec une douzaine de nouvelles péniches et prospérait tranquillement avant le virus, attirant une clientèle très « XIXe » de « cultureux », associatifs et milieux militants plutôt issus de la gauche alternative. Il y avait même une péniche-librairie, « L’eau et les rêves ». Des difficultés d’argent sont à craindre pour ces fragiles structures.

Garderons-nous notre Paris fluvial ? Que nous laissera le virus ?
On s’interrogera en musique sur cet avenir trouble, avec Juliette Greco, qui chantait les quais de la Seine. C’est presque pareil que près de notre taule. « Sur les quais du vieux Paris/ Pas loin de la Seine, le bonheur sourit/ Sur les quais du vieux Paris/ L’amour se promène en cherchant un nid/ Sur les quais du vieux Paris/De l’amour bohème c’est le Paradis ».