Aux confins – Jour 2/7, L’art de renvoyer la classe

Aux confins, c’est le journal du confinement dans le XIXe, deuxième saison. Aujourd’hui, les affres du virus à l’école, la tentation du canapé chez les enseignants et ses antidotes dans deux établissements finauds.

Tout le monde sort son cahier, révision surprise, silence. On l’ouvre à la page « Covid XIX », le nom de cette chronique avant le nouveau confinement, on relit à voix basse et on me dit ce qu’on remarque, sans copier sur son voisin. Oui ? Qui ? Toi là-bas, le sous-Parigot assidu de mes petites chroniques, qu’est-ce que tu dis ? Voilà, merci. Lisons ensemble au premier paragraphe de la chronique du 30 août, intitulée « les cahiers au feu, la maitresse au milieu ». « Comme les déconfitures annuelles du PSG en Ligue des champions, comme la tartine qui tombe toujours par terre du côté beurré, comme l’aggravation du déficit de la Sécurité sociale, le futur proche est en effet écrit en lettres capitales au tableau noir : l’école de papa ne pourra pas marcher avec le virus ».

Pour le PSG, c’était facile, admettons-le mais pour l’échec annoncé de l’école, reconnaissons aussi que c’était nettement moins évident, tant tout le monde a fait semblant d’y croire, a voulu se convaincre du retour au monde d’avant. Reprendre le chemin des écoliers, la petite routine rassurante de la salle des professeurs, des classes frémissantes à l’arrivée du maitre, des cris à la récré et du rab à la cantine. C’était la sortie de l’été, les médecins « rassuristes » écumaient les plateaux de télévision. Admettons-le, on leur prêtait une oreille complaisante, personne n’avait trop envie de retourner regarder des séries Netflix à longueur de journée avec les mômes dans la chambre à côté, qui s’abrutissent sur les écrans à jouer à des jeux idiots ou à s’échanger des futilités sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, on entend moins les rassuristes, les images d’hôpitaux débordés reviennent, les corps recommencent à s’empiler dans les morgues parisiennes (dans les 70 par jour en région Ile-de-France, 15 par jour à Paris et ça monte, voir ici les statistiques officielles). Le sous-Parigot est a priori renvoyé dans sa taule, sauf s’il faut absolument qu’il se déplace pour travailler.

Les profs et les mômes ont été, eux, maintenus dans les établissements, puisqu’il est pour le gouvernement hors de question d’aggraver le désastre économique et social provoqué par leur enfermement lors du premier confinement. Cette catastrophe a été dûment mesurée par des études très sérieuses comme celle de l’ONG save the Children au plan international : troubles mentaux, décrochage, retard d’apprentissage, tout ceci étant évidemment aggravé au fur et à mesure qu’on descend dans l’échelle sociale, les pauvres ayant bien sûr des logements moins grands et moins confortables que ceux des citoyens de la classe moyenne et des riches, ainsi que des moyens moindres pour pallier l’absence de socialisation et d’éducation. Les profs et les élèves cohabitent donc à 25, 30 élèves par classe et plus, dans des établissements où il va être difficile en novembre de profiter de l’été indien comme ces dernières semaines pour aérer en permanence. Le masque est obligatoire dès l’âge de 6 ans.

Continuer l’école normalement, est-ce un problème ou un risque ? A vrai dire, comme avec beaucoup d’éléments de cette maladie, on ne le sait pas très bien, semble-t-il. Le journal Sud-Ouest l’explique par exemple ici en accès libre, les scientifiques ont beaucoup varié sur ce point, expliquant d’abord que les enfants étaient super-contaminants, puis le contraire, avant d’avouer qu’ils ne savaient plus. Ils font cependant un constat invariable au plan mondial : il n’y a jamais eu d’hécatombe de profs et encore moins d’enfants dans une école, où qu’elle se trouve. Les enfants ne développent pas de formes graves de la maladie. Ils ne semblent pas transmettre la maladie aux enseignants en classe davantage qu’ailleurs. Dans certains pays comme la Suède, où les écoles n’ont jamais été fermées et où le port du masque n’a même pas été imposé, ce constat est identique, voire encore plus rassurant. « Le risque lié aux écoles n’est pas nul, personne ne peut affirmer cela, mais la part de la transmission au sein des écoles par rapport à la transmission dans le reste de la communauté est faible », juge donc dans cet article Daniel Lévy-Bruhl, de l’agence sanitaire française Santé publique France. Si risque il y a, en pleine explosion de l’épidémie, il serait plutôt social : gagnés par la panique, les profs risquent en effet d’être emportés par la tentation du canapé.

La petite musique du retrait commence à se faire entendre chez les syndicats enseignants. Le principal appelle à une « grève sanitaire » dans les lycées le 10 novembre pour dénoncer un protocole insuffisant, voir ici. Mobilisés sur les réseaux sociaux à la rentrée des vacances de la Toussaint, des élèves ont mené des blocus de plusieurs établissements notamment dans l’est de Paris sur un mot d’ordre identique. La police a du intervenir assez fermement pour rétablir l’accès aux établissements. On sent donc monter cette tentation du canapé. Lors du confinement, une majorité d’enseignants avait improvisé la « continuité pédagogique » par visio-conférence et autres méthodes, une minorité plus déroutée avait produit une prestation réelle mais moins efficace et une frange d’environ 40.000 enseignants avait complètement disparu. Entre le déconfinement de mai et les vacances d’été, environ 40% des enseignants ne sont pas revenus en établissements même s’ils ont pu parfois continuer à travailler à distance. Un retour à ce chaos est-il inexorable ? Prenons deux établissements où sont scolarisés deux enfants de sous-Parigot, pour voir comment les initiatives peuvent se développer dans ce milieu de tradition grincheuse, pour trouver des solutions sans en appeler sempiternellement à « l’augmentation des moyens » et à l’intervention de l’Etat.

Au collège Pailleron dans le XIXe, rapporte une source sûre de ce blog au sein d’une classe de quatrième, les enfants sont priés de rester dans la même salle toute la journée, ce qui évite le brassage. Ce sont les enseignants qui se déplacent. Les horaires de la cantine ont été étendus afin d’éviter la cohue et certains enfants ont eu l’autorisation de rentrer à la maison pour déjeuner, ce qui déleste le service. La salle de classe est régulièrement aérée, un geste-barrière dont on commence seulement à comprendre l’importance (voir ici), les récréations sont maintenues mais avec contrôle du respect des règles sanitaires. La désinfection des locaux est régulière. Il n’y a pas à ce jour de problème particulier. L’enseignant sous-Parigot et les enfants du quartier s’avèrent durs au mal, et ne semblent pas avoir l’intention de céder à la tentation du canapé.

Au lycée Charlemagne, important établissement du Marais à Paris qui accueille des collégiens, des lycéens et des classes préparatoires, des décisions plus radicales ont été prises ces derniers jours, dans le sens de ce qu’on pourrait appeler la « stratégie de renvoyer la classe » : éviter en réalité l’indigestion en allégeant enfin les temps de présence dans l’établissement et même, peut-être, tabou suprême, le travail réclamé à des adolescents. Ils sont fréquemment astreints d’ordinaire à une trentaine d’heures de cours par semaine et à un wagon de devoirs à la maison, un rythme harassant même pour les plus endurants.

Les abords du lycée Charlemagne

Le proviseur de Charlemagne a exposé cette stratégie dans un courriel aux parents d’élèves : « un niveau de classes restera à la maison chaque journée complète de la semaine, soit un quart des effectifs du lycée (environ 250 élèves) avec une rotation sur l’ensemble du mois de novembre. Les professeurs, présents dans l’établissement pour les autres classes, leur feront cours en visio-conférence ou leur donneront sur le créneau de leur cours un travail à faire ou une évaluation ». Chaque niveau comportant 7 divisions, il y aura au maximum 7 classes virtuelles simultanément à chaque heure de l’emploi du temps , ce que le réseau du lycée peut absorber. Les élèves bénéficieront au moins de 4 heures de cours en « classe à la maison » par jour. Les mercredis et samedis matins étant moins chargés et les élèves ne déjeunant pas sur place, les cours se dérouleront normalement pour tous, a ajouté le proviseur.  Des mesures vont être prises pour équiper les élèves dépourvus d’ordinateurs (sachant que la région a équipé chaque élève de seconde d’un PC).

Cette expérience a fait l’objet d’un reportage au journal de France Inter de la mi-journée du 6 novembre (à 16’45 »).

https://www.franceinter.fr/emissions/le-journal-de-13h

Nous voici donc renvoyés, avec cet exemple simple et concret d’un recoin de Paris, à ce qui était déjà soulevé dans le post du mois d’août : les nécessaires changements sous la poussée du virus d’un système de toute façon inégalitaire et trop exigeant, où les enfants les plus pauvres ne peuvent pas suivre, comme le montre régulièrement le classement international Pisa (voir ici). S’ouvrir enfin aux techniques du numérique et de l’école à distance ne sera pas simple pour les collèges et lycées français, tant le monde scolaire est encore rétif. Le numérique y est même perçu souvent comme antagoniste de la connaissance et de l’éducation. On le répète ici, pourtant, les études scientifiques ont démontré que les cours à distance peuvent avoir plus d’efficacité que les cours en « présentiel ». Ils correspondent à l’univers de la génération du numérique, ils mobilisent finalement l’attention plus efficacement que, par exemple, un cours classique un vendredi après-midi après une semaine harassante et des heures de transport (voir ici une étude spécialisée, et ici une autre).

Voilà où on en est de la tentation du canapé pour les enfants et enseignants de sous-Parigots, alors donc que l’épidémie fait rage. Il n’est pas certain qu’elle n’emporte pas les velléités de Charlemagne, et que les mômes ne soient pas renvoyés bientôt dans leurs chambres. A la différence des défaites du PSG en Ligue des champions, c’est actuellement impossible à prévoir. Devant nous, à perte de vue, il y a des lacs gelés, qu’on rêve tous d’enjamber.

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