
« Covid XIX », c’est la chronique de la vie avec le virus dans le XIXe arrondissement. Aujourd’hui, la catastrophe annoncée de la rentrée scolaire dans un coin de Paris qui voit venir le maelström du bouillon viral et de l’impréparation numérique de l’Education nationale.
Sérieusement inquiet de la débâcle économique montante qui menace d’engloutir les maigres sous laissés sur son compte par des vacances assommantes dans la Creuse, désormais réglementairement contraint par le préfet Lallement de se masquer partout et tout le temps (même dans les ruelles désertes à minuit) sous peine de 135 euros d’amende, le sous-Parigot du XIXe va faire face, affaibli, à la prochaine station du calvaire du Covid : la rentrée scolaire. Comme les déconfitures annuelles du PSG en Ligue des champions, comme la tartine qui tombe toujours par terre du côté beurré, comme l’aggravation du déficit de la Sécurité sociale, le futur proche est en effet écrit en lettres capitales au tableau noir : « l’école de papa ne pourra pas marcher avec le virus ».
Pour prendre la mesure de l’échec annoncé mais complexe de ce « système de papa » (voir ici tous les chiffres-clefs officiels) qui doit absorber à partir de mardi 12,4 millions d’élèves encadrés par 870.000 enseignants dans près de 62.000 établissements (premier budget de l’Etat, et de loin, et record de dépenses en valeur absolue en Europe juste derrière l’Allemagne, voir ici une analyse comparative UE), il faut prendre bêtement, pour commencer, son cabas de commissions.
Prenons l’exemple au hasard d’un sous-Parigot du XIXe qui devrait exécuter l’impérieux ordre d’achat annuel dressé par le Mammouth pour une adolescente qui rentre en classe de quatrième. Il se rendra donc au magasin Office Dépôt qui s’est évidemment mis sur son 31 pour l’accueillir. Facture (alors même que les réserves accumulées depuis une dizaine d’années ont été soigneusement inventoriées avant l’expédition) : plus de 70 euros.
Le problème n’est pas tant que ce soit très cher. Après tout, l’allocation de rentrée scolaire a été augmentée de 100 euros cette année. Le problème est le contenu du panier : des cahiers, des cahiers, des cahiers. Grands, petits, moyens. A petits carreaux, à gros carreaux. Avec des couvertures vernies de couleurs différentes. Avec des étiquettes pour mettre dessus, qu’on achète par petites pochettes. On le chérit, le cahier. On le bichonne, on le recouvre d’un « protège-cahier » en plastique. On le trimballe dans un cartable qui torture les omoplates. On le remplit d’une écriture qui doit être soignée et soulignée ici et là, avec différentes couleurs et des stylos de types aussi divers que les cahiers. Survivance incongrue, il existe toujours des stylos à plume, il existe toujours des cartouches d’encre pour les stylos à plume.
C’est ainsi que le cahier est le totem de l’Education nationale française. Suprêmement rassurant, il garantit symboliquement au « maitre » que l’élève sera assis toute l’année sur la chaise typique, en bois usé et verni avec un squelette métallique tubulaire, face à lui et face au tableau. Dans le rituel inlassablement répété des hussards noirs de Jules Ferry, l’élève copiera dans le cahier ce que déclame le « maitre ».
Muni de son protège-cahier, de son étiquette, le cahier est le monument discret que l’Education nationale française érige chaque année en honneur d’elle-même, de sa permanence et de ses certitudes. Le cahier est au directeur d’école ce que l’ancre est au navire, ce que le phare est au marin. Il garantit que, dans la tempête, le Système restera fermement amarré à ses habitudes, regagnera le port. Sur le cahier, est au fond écrit par avance que toutes les années scolaires à venir ne seront que de (sublimes, espère-t-on) recommencements.

De manière immémoriale, les écoliers ne trompent jamais sur ce statut symbolique du cahier, répétant à l’arrivée de l’été l’ancienne comptine : « c’est les vacances, fini la pénitence, les cahiers au feu, la maitresse au milieu ». Cette année, à coup sûr, la comptine pourra être chantée bien avant le mois de juin dans de nombreux établissements parisiens, où les classes dépassent fréquemment l’effectif de 30 élèves.
Dans la capitale, et particulièrement dans le XIXe arrondissement à forte densité de population, la circulation virale est en cette fin août très intense (voir les indicateurs officiels ici). L’incidence (le nombre de cas pour 100.000 habitants) était au 24 août de 114 alors que l’alerte est située à 50, le taux de cas positifs dans les tests est supérieur à six, un tiers de plus que la moyenne nationale. Il est donc quasi-certain que des cas nombreux se présentent dans les établissements scolaires, malgré l’obligation d’y porter le masque.
Dans quelles conditions devra-t-on fermer un établissement ? Le ministère est volontairement resté dans le flou, réservant la décision à l’appareil de l’Education nationale, au cas par cas. On pourra renvoyer une classe avant de tout arrêter, on essayera de limiter les quarantaines aux « cas contacts » des malades. Ce n’est pas forcément un mauvais choix, puisqu’il s’agit d’éviter une vague de très préjudiciables déscolarisations comme entre mars et mai.
On le sait, les enfants ne développent quasiment jamais, nulle part dans le monde, de formes graves de la maladie. Si les études sont plus hésitantes sur leur contagiosité, la tendance est de considérer que les enfants le sont moins que les adultes. (voir un point complet ici sur un site médical). En revanche, les conséquences psychologiques, sociales et économiques de déscolarisations longues, bien établies elles, sont dévastatrices, à court mais surtout à moyen et long terme. En France, 500.000 enfants auraient complètement « décroché » entre mars et mai et les retards généraux de cette année tronquée restent à évaluer. Dans le monde, 463 millions d’enfants auraient subi un retard éducatif du fait des confinements, selon l’Onu (voir ici). Ce sont surtout bien sûr les plus pauvres, dont les parents ne peuvent suppléer les enseignants, qui souffriront des dommages.
On comprend donc que le ministère français privilégie la classe. Pourtant, le problème des fermetures partielles ou totales d’établissements devrait être anticipé, puisqu’il est inévitable du fait de la rapidité de la circulation virale. L’Allemagne, où les enfants sont déjà rentrés depuis deux semaines, a connu des fermetures immédiates (voir ici) alors même que le pays maitrise bien mieux la circulation virale que la France.
C’est là que nous revenons à notre bon vieux cahier, sous son protège-cahier, avec sa petite étiquette. Ne pourrait-on pas enfin l’abandonner, ou du moins lui préférer un objet plus actuel pour les enfants, un clavier d’ordinateur ou un téléphone portable ? Il n’est pas totalement incompatible avec le cahier, mais il suppose bien sûr une autre logique, celle de l’école à distance.

Donner des cours à des enfants qui y assistent sur écran, l’expérience a été tentée pendant le confinement, « à l’arrache », par la proportion d’enseignants français qui croient au numérique ou sont capables de s’y adapter. Dans le XIXe, ce fut plutôt rare, plus fréquent dans le lycée du centre de Paris fréquenté par mon fils. L’expérience a été concluante.
Ainsi que l’ont démontré de longue date des études savantes (voir ici et aussi ici), l’enseignement à distance peut être plus efficace que l’enseignement « présentiel », avec le tableau noir, le cahier, …. C’est ce que j’avais appelé ici dans un précédent post sous le confinement, basé sur l’observation de ma fille dans cette situation, le « syndrome du pyjama licorne ». Si l’enfant n’a pas à se lever trop tôt, s’il économise la fatigue des transports, s’il se concentre sur l’écran seul chez lui et sans perturbation, il y a beaucoup de chances que le cours soit plus efficace que, par exemple, dans une classe bruyante de 30 élèves un jeudi ou un vendredi.
Le bon sens aurait donc voulu que ces méthodes d’avenir soient systématisées, avec par exemple une journée, voire deux, qui prévoiraient que l’enseignement soit dispensé de cette manière : moins de circulation virale, un gain progressif en qualité pédagogique par l’acquisition d’une expérience concrète, quitte à ce que les sacro-saints programmes et autres devoirs à la maison soient enfin allégés. Après tout, ces méthodes stakhanovistes et obsolètes, dont le satané cahier est l’emblème, font que l’école française est une des plus inégalitaires dans les pays développés, selon l’étude de référence Pisa, parce que les plus pauvres ne peuvent pas suivre le rythme.
En revanche, l’enseignement à distance permet de développer une autre approche, moins autoritaire et plus en phase avec les habitudes des nouvelles générations. L’enseignant se fait médiateur et amène l’élève à aller chercher la connaissance par lui-même, avant de pratiquer plutôt en classe des exercices et des activités plus dynamiques autour de la connaissance fondamentale. Cette méthode appelée « pédagogie inversée » (voir ici la fiche Wikipedia) est encore embryonnaire en France, alors qu’elle semble adaptée au numérique. Il est vrai que les enseignants français, qui souffrent d’un déficit de reconnaissance du fait de rémunérations ridiculement faibles, sont souvent attachés au modèle du « maître », où leur position sociale est plus affirmée. C’est donc un univers entier qu’il faut réécrire, et c’est le moment.
Ce ne sera pas pour tout de suite. Dans le Journal du dimanche de ce 30 août, où il se dit pourtant « préparé à tout », Jean-Michel Blanquer n’envisage guère ces méthodes. Il n’est question, comme souvent dans le Mammouth, que de formation des enseignants (c’est certes louable, mais contraire à l’urgence), de la mise au point d’outils d’évaluations, de ressources pédagogiques numériques…. De lourdes procédures dont on entrevoit l’enlisement probable, alors que le numérique permet justement la spontanéité, l’utilisation immédiate et sans protocole d’outils publics et gratuits comme Zoom, la vedette du confinement.
Ce sera donc contrainte et forcée que l’Education nationale devra s’y remettre, une fois qu’elle aura dû fermer une palanquée d’établissements. L’enseignement à distance sera chaotique puisqu’improvisé et imposé par les circonstances.
Pas grave, le sous-Parigot est heureux de voir revenir ses enfants, de les voir se lever à 11h, de leur faire à manger trois fois par jour, de les aider dans leurs devoirs et d’organiser leurs journées. C’est un nouveau monde déjà expérimenté brièvement pendant le confinement qui s’offre à lui et tellement de bonheur, le temps que l’Education se mette à la page.
Pour info la Région Grand Est fournit depuis 3 ans des ordinateurs portables et un accès aux ressources pédagogiques numériques,ceci pour les élèves de lycée.
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En IDF aussi et ailleurs des investissements d’équipement sont faits (heureusement mais c’est bien) ce qui ne l’est pas c’est de provoquer un changement de l’école de papa et de favoriser l’école à distance et les pédagogies qui vont avec
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