
« Aux confins », c’est le retour du journal du confinement, deuxième saison. Aujourd’hui, le sacrifice annoncé du sous-Parigot, coincé dans un traquenard à Covid et menacé d’une déferlante.
On y retourne et cette fois-ci, ça n’a même pas un petit côté intriguant ou mystérieux, il n’y aura pas ce petit frisson secret de vivre l’Histoire. Il n’y aura pas cette extase du matin calme et du chant des oiseaux dans la ville creuse, on ne cillera plus des yeux en admirant des canards traversant les chaussées désertées des Maréchaux. Il n’y a plus d’émerveillement, de redécouverte, on le sait déjà grâce à ce blog et ses débuts lors du premier confinement, désormais, qu’il existe 60 espèces d’oiseaux à Paris et que leur population a doublé en 100 ans. Maintenant, leurs pattes sont givrées et ils se cachent ou ils se sont envolés vers des cieux plus cléments, s’ils existent. C’est novembre, le temps est gris, il a fallu payer les impôts locaux et le compte bancaire est en berne. Si on a encore un travail, on s’apprête à quitter la machine à café où on reluquait en douce les jambes de cette jolie fille de la compta, en lui parlant des perspectives marketing. On parlera désormais à la maison à son écran d’ordinateur et on s’en déclarera heureux (par mail ou par texto).
On y retourne, dans nos taules, et c’est annoncé, ce sera pire que la première fois, dans des hôpitaux harassés, désossés par des décennies de coupes budgétaires, avec une population fatiguée et un virus plus méchant encore, peut-être, avec la baisse des températures (lire ici dans Les Echos). Certes, le dévouement est toujours de mise et on « pousse les murs », selon l’expression désormais consacrée. Ca peut paraître dérisoire, cependant, ces vidéos du 30 mars où Lariboisière, un des grands établissements de l’AP-HP, se vantait d’avoir porté sa capacité de réanimation à… 46 lits. Il parait qu’en Allemagne, où les lits de réanimation sont cinq à dix fois plus nombreux qu’en France, on rit jaune en regardant ces vidéos. La deuxième vague ne risque-t-elle pas d’emporter ces images de Lariboisière dans une ambiance d’apocalypse ?
Ainsi, disons-le tout net, le sous-Parigot du XIXe n’ira peut-être pas seulement au cimetière pour fleurir les tombes à la Toussaint, la sortie aimablement permise par le gouvernement pour ce premier week-end d’enfermement. Peut-être…. qu’il y aura sa place lui aussi, « en vrai », comme disent les jeunes qui ne s’en angoissent pas (encore). Car « nous sommes tous condamnés, nous sommes les sacrifiés », peut chanter le sous-Parigot comme les Poilus de 1914 fauchés sous la mitraille, recrus d’épreuves et qui entonnaient la « chanson de Craonne ».
« Adieu la vie, adieu l’amour/Adieu toutes les femmes/C’est bien fini et pour toujours/De cette guerre infâme/C’est à Craonne sur le plateau/Qu’on doit laisser sa peau/Car nous sommes tous condamnés/ Nous sommes les sacrifiés ». En effet, tout comme les fantassins des offensives du commandant en chef Robert Nivelle en 1917, le sous-Parigot du XIXe est la victime désignée de la deuxième vague du virus. Il tombera par escadrons entiers, c’est écrit, pendant que l’ouest de Paris prend du bon temps sur la côte.
Comment se présente en effet le front de la guerre contre le Covid, en novembre 2020, pour le sous-Parigot du XIXe ? Pas très bien. L’ennemi est partout et a débordé depuis longtemps toutes nos défenses, faisant un carnage dans nos rangs. On a passé le cap des 2.000 morts au total à Paris, auxquels s’ajoutent des milliers de décès dans la très proche banlieue de Seine-Saint-Denis, autre coupe-gorge du Covid. A Paris, les décès ont atteint de nouveau fin octobre la cinquantaine par jour (voir ici les statistiques officielles). Les corps recommencent à s’empiler dans les hôpitaux.
Paris, pour le virus, on l’a dit et répété ici, c’est presque totalement l’est de la ville, les quartiers populaires, l’habitat social exigu, les gens qui travaillent dans de vrais métiers utiles pour la société (et donc mal payés) et qui doivent prendre les transports. Dans l’ouest, on vit plutôt dans de grands logements, on télé-travaille ou on a son bureau et sa voiture. (Plutôt, j’ai dit. Je vous entends déjà, les sous-Parigots isolés de l’ouest. Vous êtes l’exception, là-bas, compris ?) Le week-end donc, quand on habite l’ouest, on s’aère dans la résidence secondaire. Et quand vient le confinement, on gagne cette résidence secondaire pour télé-travailler et fuir les pièges à virus urbains, laissant derrière les sous-Parigots organiser la logistique dans les dépôts et les centres de distribution centraux.
Comme lors du premier confinement, cette « division du travail » impitoyable de la capitale, cette implacable logique discriminatoire de la maladie, a été visible sur le périphérique et sur les grands axes de dégagement routier autour de Paris, dans les dernières heures de la soirée du 29 octobre. Un internaute anglophone qui ne connait pas trop sans doute le système de classes à la française s’est bien amusé aussi le 29 octobre au soir avec ces vues aériennes, qui montrent un tout petit morceau des 700 km de bouchons recensés.
Après cette ruée vers l’arrière, le front du XIXe semblait le lendemain résigné avec encore beaucoup de gens dans les rues et des patrouilles de police et de soldats renforcées (il y a aussi le risque terroriste, qui a amené un déploiement de milliers de soldats supplémentaires sur le territoire). Il n’y avait pas encore de verbalisations, apparemment. Cafés et restaurants ont baissé rideau, les derniers commerces balayaient dans les coins et mettaient les housses sur les rayons avant d’éteindre la lumière pour un mois, ou davantage…. ou pour toujours peut-être si les faillites se multiplient comme on peut le craindre malgré les aides publiques. Pour ceux qui triment à potron-minet et rentrent au milieu de l’après-midi, très exactement sur la ligne 3B du tramway, le front du virus ressemblait à ça :

Front nu face à la mitraille, en avant sur les sentiers de la gloire à la Kubrick. Certes, le mépris témoigné au sous-Parigot par les autorités lors du premier confinement s’est légèrement atténué, puisqu’il a été mis fin à quelques absurdités. Les parcs et notamment celui des Buttes-Chaumont, interdits d’accès pendant la quasi-totalité des deux mois du premier enfermement pour un motif qu’aucun scientifique ou dirigeant politique sérieux n’a jamais pu justifier, sont cette fois toujours ouverts. Le championnat de France de Ligue 1 continue, et on pourra se dispenser de parier sur le foot biélorusse, cette fois, comme on s’y était résigné sous le premier confinement. Les matches français, avec des équipes décimées par le Covid, descendent certes fréquemment à deux tirs cadrés en 90 minutes devant des tribunes vides, mais les championnats étrangers se poursuivent aussi. On pourra remplir les dimanches devant la télé avec une sorte de vraie vie de dehors et pas seulement des séries, en attendant de sortir…. mais quand et pour quoi faire ?
Allez, soyons lucides. Ca ne vous surprendra pas, on y retourne encore vers notre chouchoute Elisabeth Grant. Elle nous l’a dit, pour l’instant, « l’espoir est une chose dangereuse ».