Aux confins – Jour 3, les oiseaux, des euros et du doliprane

Journal d’une famille confinée à Paris 19. Comment les oiseaux reprennent possession de Paris. Parler de l’an 01.

Les oiseaux. Les oiseaux chantent sur le balcon, quand je me réveille avant l’aube. Ils chantent quand je marche dans les rues désertes, muni de mon attestation rédigée à la main. « Je soussigné, Thierry Lévêque, déclare sur l’honneur sortir pour des achats alimentaires – le pain à la boulangerie de l’avenue Laumière ». Y-avait il autant d’oiseaux à Paris ? Sont-ils venus pour l’occasion ? C’est comme s’ils s’appropriaient la ville plongée dans ce silence, ce silence si particulier, pas celui d’un dimanche d’août, ni d’un jour férié. Un silence lourd. Pétrifié. Un silence d’attente. Cette symphonie des oiseaux, était-elle jouée avant mais inaudible dans le vacarme ? Ou les oiseaux célèbrent-ils leur liberté retrouvée, exultent-ils dans cette ville qui se fige lentement, où l’air se purifie ? Il y aurait plus de 60 espèces d’oiseaux à Paris et leur population aurait doublé en 100 ans.

Les ornithologues les ont recensés depuis longtemps. Il y a la fauvette, par exemple. Il en existe plusieurs variétés. La fauvette à tête noire est la plus commune. Son chant était presque familier mais s’imprime désormais dans le silence.

Il y aussi la corneille, qu’on confond avec le corbeau. Son chant est plus funèbre, le silence lui sied mal. C’est le chant du confinement, comme le glas d’un monde qui bascule.

On le sait peu, des espèces très sauvages, qu’on croirait réservées aux grands espaces, vivent aussi à Paris. C’est le cas du faucon pèlerin. On le voit parfois planer au-dessus du parc des Buttes-Chaumont, où on se souviendra peut-être que les Parisiens ont goûté dimanche 16 mars leurs derniers promenades insouciantes en famille… et avec le Covid-19. Le parc est fermé maintenant et le faucon l’a pour lui tout seul.

L’euro et le doliprane. Dans les longues conversations écrites que je partage depuis longtemps sur les messageries avec mes chers amis S. et O., qui vivent à Budapest, où le confinement n’est pas encore prononcé, j’ai parlé des oiseaux. J’ai parlé du ciel du soir depuis mon balcon. Hier soir, le 18 mars, il n’y avait déjà plus qu’un seul avion, mince trait blanc qui zébrait un azur désormais sans tâche. Mes amis se préparent aussi à s’enfermer. La Hongrie a fermé ses frontières. Budapest, la ville de la fête, a déjà baissé le rideau. On se dispute souvent pour de rire, eux et moi. Je joue le rôle de l’avocat du système et eux les rebelles. Ca n’avait pas l’air trop sérieux, avant. Ca semblait lointain, abstrait.

O. : « C’est bon dé réinitialiser le monde, ça fait penser à ce film des anarchistes, l’an 01. Des personnes meurent, mais pas de guerre, pas de conflit. Je sens la planète respirer à nouveau »

Moi : « La question est de savoir si on va repartir comme avant ou si tout changera ».

S. : « Les Chinois continuent d’exporter ».

Moi : « ça va quand même être un peu perturbé ».

S: « un euro, 358 forints…. sur le chemin vers 400 » (l’euro est d’ordinaire plus proche de 300, NDLR).

Moi : Les eurosceptiques, je ne saurais trop vous conseiller d’acheter des euros. Des euros et du doliprane ».

S. On va beaucoup regarder nos souvenirs dans les jours qui viennent. Pontoon, Sziget, Babel Sound (les beaux festivals et lieux du printemps et de l’été à Budapest et en Hongrie, NDLR). L’ancien monde.

Moi : On sera comme dans un putain de film de zombies.

Ce troisième soir, ma fille va cuisiner des burgers, comme ceux qu’on mangeait au restaurant, dans le monde d’avant.

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