
« Covid XIX », c’est la chronique de la pandémie dans le 19e arrondissement. Aujourd’hui, les cafés trichent avec les règles et nous sommes tous complices, sans bien savoir si on devrait.
Malgré sa légendaire légèreté qui a fait son succès dans le monde entier, cette fois ça y est, le sous-Parigot se met à paniquer doucement, au fur et à mesure que son cher quartier et ses environs de l’est de Paris deviennent un coupe-gorge à virus bientôt pire que la Maison blanche. Les malades recommencent à affluer aux urgences et à y mourir, Paris approchant désormais les 2.000 victimes, comme le montrent les statistiques officielles tenues à jour ici.
Or Paris, au regard de la maladie, ça se résume un peu au sous-Parigot du XIXe arrondissement, grosso modo, on l’a assez dit ici. C’est dans notre bon vieux quartier que la France se lève tôt, prend le bus ou le métro, s’entasse plus ou moins dans les bureaux, les ateliers, discute avec son prochain, met les mains dans le cambouis. Faire le ménage ou trimballer des cageots, ça ne peut pas encore se faire en télétravail.
C’est dans l’est de Paris et en Seine-Saint-Denis qu’on clabotait du Covid au printemps, c’est toujours là qu’on va passer l’arme à gauche. D’ailleurs la grande presse a récemment découvert que la maladie frappait davantage les cloches et les smicards que les habitués de l’île de Ré, à travers une étude répercutée par exemple dans Le Monde. Les revenus les plus faibles, les non-diplômés et les immigrés vivent en effet dans les immeubles surpeuplées et les logements exigus, justement une caractéristique du XIXe arrondissement qui a le record de logements sociaux à Paris, comme le montre ce graphique de 2016. C’est tout de suite frappant, il y en a un peu moins dans le VIIIe par exemple. Les petites vieilles en carré Hermès ont moins de souci à se faire, elles ont de la place dans leur logement pour respecter la distance de sécurité avec la bonne philippine.

Le sous-Parigot qui n’a de toute façon pas besoin de graphique et sait instinctivement que, pour le virus comme pour le reste, c’est pour sa pomme, pouvait donc se réjouir, dans un premier élan, de la fermeture des cafés ordonnée par le préfet Lallement. Devenu une sorte de père fouettard de sous-Parigot depuis le début de la crise, ce dernier a donné une conférence de presse pour ordonner aux bistrots de baisser le rideau à partir du 6 octobre.
Vaut-il mieux mourir seul avec un tuyau dans la gorge, une infirmière acariâtre à trois mètres et son fils en visio sur le téléphone, ou prendre son café seul le matin dans sa cuisine ? Le sous-Parigot commençait à se résigner, et courbait donc l’échine, se préparant à s’ennuyer et à être toujours seulement face à lui-même, même pour regarder à la télé les matches de foot qui se déroulent dans des stades vides. Or, surprise, les jours défilent et l’arrondissement, sous le beau soleil d’octobre, ressemble toujours à ça dans les coins de rues.

Préfet Lallement ou pas préfet Lallement, on se croirait toujours à Marseille ou à Aix-en-Provence. Justement, un bistrotier du XIXe arrondissement qui a requis l’anonymat nous a livré confidentiellement le 9 octobre la recette de l’entourloupe : l’assiette de fromage. « C’est pas clair. Si on fait de la restauration, on peut toujours rester ouvert. Donc, on reste ouvert en servant des assiettes de fromage. Personne ne nous dit rien, d’ailleurs. Je pense que cette décision, c’est du n’importe quoi. Ca n’a été annoncé que pour calmer les Marseillais ».
Cette vox populi, vox dei du cafetier sous-parigot fait référence à une incongruité administrative, la fermeture des bars ET restaurants le 27 septembre à Marseille et Aix. Elle avait suscité davantage de protestations sur la Canebière qu’un but hors-jeu du PSG à la 90e minute d’un « classico ». Deux poids, deux mesures, hurlaient les Marseillais et leurs élus, qui menaçaient même de créer leur propre conseil scientifique. Déjà qu’on n’y comprend rien avec un seul…. Marseille a finalement été remis le 6 octobre sur le régime parisien – restaurants ouverts et cafés fermés en théorie, s’ils ne font pas à manger – ce qui a évité sûrement un nouvel incendie du Fouquet’s après une descente des quartiers nord.
Tout cela est un peu confus, donc, mais grosso modo, tout le monde reste plus ou moins ouvert moyennant un protocole. Il faut en principe payer uniquement aux tables pour éviter les allées et venues, laisser son nom dans un registre (pour, en cas de contamination, …. ne pas pouvoir se faire tester comme cas-contact dans les laboratoires surchargés du coin) et aussi porter un masque quand on ne mange pas, mais selon une observation assidue et répétée des comportements dans le XIXe arrondissement… tout le monde s’en fout et personne ne le fait.
Tout cela a-t-il un sens dans le fond ? Si on s’y connait un peu en virus et en épidémies, il est bien possible que non. C’est ainsi que l’excellent site d’information indépendant Les Jours (j’y travaille, c’est dire) a expliqué qu’aucune étude scientifique ne prouvait que le bistro était un lieu plus propice aux contaminations. (S’abonner pour un euro au départ et lire ici l’article excellent intitulé « c’est un coronavirus qui rentre dans un bar »). On peut certes supposer qu’une foule agglutinée autour d’un comptoir est plus risquée, mais ça se fait rare, les animations et les concerts étant interdits.
Et puis, dans le fond, si la population ne peut pas se regrouper dans les cafés le soir après un travail assommant et mal payé comme celui du sous-Parigot, elle le fera dans les appartements. Phénomène hallucinant, il s’organise d’ailleurs de plus en plus de fêtes clandestines…. et payantes dans des lieux privés, ainsi que l’a révélé une enquête du Parisien, qui a remarqué que personne n’y portait des masques. (Lire ici) C’est donc la quadrature du cercle, cette affaire de virus.
Comment l’empêcher de circuler sans interrompre la vie ordinaire, ce qui provoque immanquablement misère, ruine et dépression ? On pourrait même émettre une hypothèse, à partir de la constatation que le préfet Lallement n’a ni verbalisé ni fait fermer aucun des cafés restés ouverts en fraude dans le XIXe : le pouvoir patauge dans le tube à essai et l’entourloupe de l’assiette de fromage a peut-être été pensée au plus haut niveau de l’Etat. D’un côté, on montre ses muscles en annonçant des mesures et de l’autre côté, on laisse la bride sur le cou aux cafetiers, histoire de maintenir la paix sociale et de préserver l’économie. Ca ferait une bonne enquête de Mediapart, « l’assiette de fromage, un scandale d’Etat ».
On rigole, on rigole mais tout ça n’est pas drôle, dans le fond. Désormais, peu de gens en rient franchement, d’ailleurs, puisqu’ils tentent de se faire tester en masse dans le centre public à l’espace Pierre Girard, près de l’avenue Jean Jaurès. Les queues s’allongent fréquemment sur plusieurs centaines de mètres dans cette avenue. Tout cela n’est pas plus clair que l’embrouille de l’assiette de fromage, il y a des publics théoriquement prioritaires, mais on peut y aller librement, on a besoin d’une ordonnance ou d’un texto de l’assurance-maladie… ou alors non. Peu de gens y comprennent encore quelque chose.
Les hôpitaux de Paris ont recommencé déjà fin septembre à déprogrammer des opérations non urgentes et les capacités des lits de réanimation sont déjà saturés à 40% par les cas de Covid. On pourrait rapidement atteindre le seuil d’alerte et alors peut-être, les assiettes de fromage vont disparaître pour de bon, avec le reste.
Bon, allez, c’est le moment d’être philosophe avec notre chouchoute, Elisabeth Grant.
« Let me kiss you hard in the pouring rain/You like your girls insane/So choose your last words, this is the last time/Cause you and I, we were born to die »