
Journal du déconfinement à Paris 19. Aujourd’hui, la rentrée en petits pointillés au collège Pailleron et la non-rentrée au lycée Charlemagne. Quelques éléments sur cette étrange démission collective de juin dans l’Education nationale.
Après presque trois mois de fossilisation des adolescents à la maison dans le XIXe, c’est la rentrée ce lundi. Enfin le sous-Parigot, récuré économiquement, épuisé psychologiquement, inquiet pour les jours creux à venir, croit pouvoir apercevoir le moment où il n’aura plus trois repas par jour à préparer pour deux goinfres, avec les courses pharaoniques qui vont avec.
Il entrevoit le temps où tirer les enfants du lit ne sera plus la première mission de la journée, où il pourra enfin délaisser son agréable mais lourde tâche para-éducative et en finir avec le contrôle renforcé des sorties de l’après-confinement. La progéniture prend l’habitude de trainer jusqu’à pas d’heure. En un mot, le sous-Parigot, croit-il, va reprendre sa liberté sur ses enfants, qui rentrent dans le cadre rassurant et nécessaire du collège et du lycée. Il était temps : même pendant des périodes bien plus noires de l’Histoire du pays, même sous l’Occupation, on n’avait jamais connu une telle éclipse.
Sauf que… il n’en est rien et, comme chacun sait, c’est en fait une rentrée presque fictive qui se déroule. Le collège Pailleron, dans le XIXe, n’accueille la classe de 5eme de ma fille qu’une semaine sur deux et…. deux heures par jour. Ca commence cette semaine pour elle, et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle n’est pas très chaude pour cette mascarade d’école, sans cantine, sans récréation, avec interdiction de se croiser, de se toucher, lavage des mains incessant, masques obligatoires, distanciation obsessionnelle. Son demi-groupe rassemble, avec elle,…. trois élèves. Presque un cours particulier.
Plus radical encore, le lycée de mon fils, Charlemagne, dans le Marais, a tiré de son côté définitivement le rideau sur l’enseignement dans ses murs. Ce prestigieux établissement aura donc, fait unique dans l’Histoire contemporaine, interrompu ses cours près de six mois, entre le 17 mars et la rentrée de septembre (si tant est que le virus ne revienne pas à l’automne et empêche encore une rentrée, un risque que personne ne semble anticiper).

Certes, dans les deux établissements, beaucoup d’enseignants dévoués assurent avec visio-conférences et travail à distance ce que l’Education nationale appelle, dans son inimitable jargon, la « continuité pédagogique ». Une novlangue orwellienne puisque chacun sait qu’en fait de continuité pédagogique, c’est une rupture historique qui s’est produite.
Décidant dans un étrange retournement de la légende des cancres de faire « l’école buissonnière », environ un enseignant sur deux n’est pas retourné au travail au moment du déconfinement. Ceci n’encourage guère les enfants et les familles à y mettre du leur (même si elles n’ont presque jamais le choix). Cette défection collective, pour ne pas parler de débâcle, n’aide pas pas non plus à appliquer dans les établissements le délirant protocole sanitaire de 53 pages de l’Education nationale. Il a été mis au point, on le verra plus loin, sous la pression de syndicats enseignants outrageusement craintifs, et il est désormais utilisé pour renoncer à une rentrée normale.
Les conséquences risquent d’être très lourdes pour un système scolaire souvent déjà obsolète au plan pédagogique et mal noté dans les classements internationaux, en termes notamment d’équité envers les moins favorisés. (La France est considérée comme l’un des pays avancés les plus inégalitaires, dans le classement le plus reconnu dit « Pisa », voir la dernière livraison ici).
Des sociologues se sont déjà penchés sur cette éclipse où beaucoup d’enfants ont partiellement ou totalement décroché, et où on leur a donc laissé penser – ce qui ne sera certainement jamais oublié – que l’école républicaine « obligatoire » était en réalité une option que les adultes et notamment les enseignants pouvaient décocher au gré de psychoses irrationnelles.
Dans cette tribune, un professeur de sociologie et un directeur de recherches au CNRS considèrent que le préjudice équivaut symboliquement à une « deuxième vague » de dégâts du virus. « L’impact des périodes de déscolarisation est bien connu des spécialistes de sciences de l’éducation, qui se sont penchés sur l’effet des vacances d’été. En gros, les périodes d’interruption scolaire estivales s’accompagnent chez les enfants d’une perte de compétences cognitives (Summer Learning Loss), variable selon les domaines, mais d’autant plus prononcée que l’interruption est prolongée », soulignent Camille Peugny et Philippe Coulangeon.
« Toutes ces études soulignent de surcroît le fort gradient social de cet effet : il est d’autant plus prononcé que les familles sont socialement et culturellement démunies, éloignées de l’école, de ses attentes et de ses prérequis. Après cinq mois d’interruption scolaire, un méga «summer learning loss effect» est devant nous, qui frappera en priorité les territoires et les populations les plus démunies », ajoute-t-il.
Le patronat, qui voit ses employés bloqués à la maison, commence aussi à s’inquiéter de cette situation et demande qu’on y remédie, ce qu’apprécieraient aussi certainement les millions de Français qui tirent la langue avec des revenus réduits ou annulés. Quelques 41% des entreprises sont contraintes de maintenir leurs employés en chômage partiel, avec une activité au ralenti ou nulle qui risque de mener à la faillite, selon une enquête patronale.
Hormis quelques trouillards, les enfants, quant à eux, réclament depuis longtemps l’école à cor et à cri, car ils se languissent de leurs amis, comme on le voit sur cette vidéo.
Comment le système scolaire français, le premier de la Nation avec 57 milliards d’euros de dépenses en 2020 (voir ici les éléments officiels sur ces dépenses pour 2020), a-t-il pu sombrer dans un tel renoncement catastrophique ? Dans un tel moment de crise nationale, il aurait dû accomplir avec encore plus d’application sa mission de service public, à l’image des soignants, des éboueurs ou des transports. Aurait-on admis que la moitié de ceux qui ramassent les déchets ou la moitié des chauffeurs de bus refusent de reprendre le travail ?
D’abord, il faut noter que ce milieu éducatif censé pourtant par essence faire prévaloir la raison et le calme de la science s’est enfermé durant le confinement dans une terreur irrationnelle du virus qui, en déteignant sur les autres échelons et sur les parents d’élèves, a déclenché la paralysie du système.
Après l’annonce fin avril par le président Macron d’une rentrée scolaire partielle et progressive le 11 mai, le principal syndicat FSU (version complète ici) a ainsi considéré le 28 avril que cette rentrée serait « prématurée », estimant même que la limitation des effectifs des classes à 15 personnes était excessive. Le syndicat réclamait de les limiter à dix (une pratique qui sera effective ensuite dans certains établissements).

C’est cette position extrême qui a déclenché un engrenage de la psychose et poussé le gouvernement, d’une part à déclarer aux enseignants qu’ils ne reprendraient que « sur la base du volontariat » et d’autre part, à mettre en place le fameux protocole sanitaire qui rend de facto impossible une rentrée simplement normale.
Ce protocole fait implicitement mine de croire que le Covid-19 est une maladie qui concerne toute personne à égalité. Pourtant, à cette date, les éléments scientifiques étaient déjà clairs pour montrer plusieurs éléments propices à une rentrée large : les enfants, on le sait depuis l’origine du Covid en Chine, ne développent jamais de forme grave (hormis une malheureuse et microscopique exception statistique concernant une poignée de cas inflammatoires d’une maladie de « Kawasaki », induite très ponctuellement, avec un seul décès à Marseille). Mieux, les enfants transmettent très peu la maladie (ceci a été établi par une étude française du 21 avril, donc avant la position du FSU, et confirmé encore par une autre étude récente en France, mi mai).
De plus, à la date de fin avril, on disposait déjà d’un mois et demi de recul sur l’expérience in vivo de la Suède, un pays de dix millions d’habitants qui a refusé le confinement. Le pays n’a jamais fermé ses écoles et n’a mis en oeuvre aucun protocole contraignant en dehors de la distanciation et du lavage de mains – même pas de masques obligatoires – sans aucune conséquence sur les contaminations. Il était donc prouvé qu’il était possible de revenir à l’école normalement, en dispensant juste par exemple les personnes à risque.

Chacun se regarde aujourd’hui en chien de faïence, mais bien trop tard, pour tenter de mettre fin à cette absurde école buissonnière des enseignants et des enfants. Le président du conseil scientifique (qui s’était bizarrement opposé à la réouverture du 11 mai) demande maintenant un allègement du protocole sanitaire qui dans ses détails n’a pas de sens, reconnait-il.
Ce sera trop tard pour les enseignants et les enfants. C’est d’autant plus dommageable qu’ils auront peut-être manqué une occasion historique, celle d’amorcer une autre école, celle du numérique, un aspect déjà abordé dans un autre post de ce blog.
N’aurait-on pas pu ainsi pousser les feux, par exemple, sur le modèle anglo-saxon de « l’école inversée » (article payant ici sur le Figaro), où on propose aux élèves d’aller chercher la connaissance chez eux sur internet, avant de pratiquer des exercices et/ou une discussion en cours, de manière plus libre ? Ceci aurait collé à ce moment particulier où chacun a dû faire un effort d’adaptation. Ceci aurait envoyé le message aux écoliers qu’ils comptaient toujours, et que le sens de l’école, c’était eux. C’est pour cette raison qu’elle est obligatoire.
On cultivera le regret de cette école imaginative de tant d’enseignants dévoués, ouverte aux écoliers, avec l’illustre George Brassens. Il gardait un souvenir ému de sa maitresse (pas que pour les cours, c’est vrai).
« A l’école où nous avons appris l’ A B C/La maîtresse avait des méthodes avancées./Comme il fut doux le temps, bien éphémère, hélas !/Où cette bonne fée régna sur notre classe/Régna sur notre classe.
Avant elle, nous étions tous des paresseux/Des lève-nez, des cancres, des crétins crasseux./En travaillant exclusivement que pour nous/Les marchands d’bonnets d’âne étaient sur les genoux/Etaient sur les genoux »