Aux confins – Jour 43, Glissements très progressifs du XIXe vers le déconfinement

Journal d’une famille confinée à Paris 19. Aujourd’hui, les signes de prémisses d’un possible déconfinement apparaissent dans le XIXe, et le confiné s’ébroue.

Au 44eme jour, le confiné du XIXe, ruiné, était de surcroit déprimé ou devenu psychotique (du genre de l’homme que j’ai vu hurler hier à un gamin dans une file d’attente au bureau de tabac « recule ! recule ! », avant de presque se jeter sur lui). Il était au bout du dernier épisode de la « Casa de papel », avait relu tout Proust et Marguerite Duras, et vidait son compte en banque un peu plus chaque jour en achetant des légumes au supermarché au prix du baril de pétrole d’avant. Mais enfin, il entrevoit la lumière au bout du tunnel, après le discours d’Edouard Philippe sur le « déconfinement » du 11 mai.

Il sera alors soulagé de la grave atteinte à ses libertés fondamentales en cours depuis le 17 mars, avec « l’attestation de déplacement dérogatoire » imposée pour aller acheter le pain ou dire bonjour à mémé à la fenêtre. Il pourra se déplacer librement… jusqu’à 100 km de Paris. Il pourra donc aller à Dreux, à Chartres (il y a une jolie cathédrale) mais pas à Orléans (38 km de trop). Il pourra aussi aller à Monterault-Fault-Yonne (tout juste, sans pousser dans la banlieue) et à Sarcelles, à Montreuil, ainsi qu’à Compiègne (c’est un peu mort le soir, surtout en ce moment, mais il y’ a une forêt, comme chacun sait).

Autrement, dans son quartier, il pourra aller chez les coiffeurs, où on envisage des mesures de sécurité plus renforcées que sous le sarcophage de l’ancienne centrale de Tchernobyl. Après une certaine attente dans la rue, il pourra aussi entrer enfin dans les magasins de vêtements ou des chaussures. Personne cependant ne vous y autorisera à essayer la marchandise ou à la toucher. Ou alors en vous passant les mains deux fois à l’acide sulfurique, avant de les frotter au tampon Jex, ou quasi.

Les enfants du confiné, alourdis d’une quinzaine de kg chacun, iront à l’école, dans des transports où un siège sur trois sera neutralisé, et où tout le monde sera donc plus entassé qu’à l’habitude (le service ne sera qu’à 70% de la normale le 11 mai, a dit le Premier ministre). Bon autrement, ils feront une heure de vélo. Ce sera le 11, le 18 au début juin pour les lycéens, en principe, quand les enseignants auront réussi à installer du savon dans les toilettes et à pousser les chaises et quand ils disposeront, comme ils le voudraient bien, de cinq masques FFP2 pour une journée complète de travail, de visières en plastique et de boxes vitrés pour les enfants, mis à disposition sans doute d’ici là par le gouvernement.

Rempli de cette espérance radieuse de sa prochaine libération, le confiné du XIXe a donc choisi de sortir avec son attestation pour se préparer, au lieu d’écouter les bulletins d’information de la mi-journée sur les derniers bilans du meilleur système de santé du monde (437 morts en plus en une journée le 28 avril et bientôt près de 24.000 au total, un des pires bilans au monde après 44 jours de confinement) et il a donc préparé ses arrières.

D’abord, le masque. Le confiné oublie les polémiques sur le fait que la France en a eu un milliard en stock, mais a négligé de renouveler ce stock sous le mandat précédent et même sous le début du mandat Macron (voir l’enquête de Libération), puis a mis un désordre supplémentaire en réquisitionnant tout ce qui trainait, jetant la confusion dans les circuits. Il oublie que le gouvernement a d’abord expliqué aux citoyens que les masques ne servaient à rien, avant que les vrais spécialistes finissent par imposer l’idée simple qu’il est mieux de se couvrir la bouche et le nez, n’importe comment, pour se protéger d’une maladie qui se transmet par la bouche et le nez (et les yeux). Oubliant tout cela, donc, le confiné se prépare puisque désormais, le masque sera obligatoire dans les transports et fortement suggéré dans les lieux publics (à l’école ce n’est pas très clair encore, mais bon, ça va venir).

Arnaqué par un retoucheur de la rue de Meaux qui lui a vendu 8 euros un bout de tissu vert avec deux élastiques mollassons, en dessous duquel il est impossible de respirer :

… le confiné se dirige confiant vers les nombreuses pharmacies du quartier autorisées par décret du 26 avril (ouf) à vendre ces anodins produits jusqu’alors introuvables donc, sauf chez les retoucheurs. Les deux premières n’en ont pas et la troisième lui vend 5 euros un machin noir, sans norme Afnor dessus, rien du tout. Allons-y pour le masque noir, même si on se sent là en-dessous comme intubé avec un respirateur artificiel aux urgences (mais ça donne une idée, justement).

Trois au total car il en faut pour les enfants, donc 15 euros, ajoutés aux huit euros lâches à l’arnaqueur de la retouche, ça commence quand même à chiffrer pour un objet qui est à quelques centimes au Maroc, qui arrive gratuitement et sans rien demander dans les boites aux lettres à Budapest et peut se trouver dans des distributeurs automatiques de rue en Pologne. C’est vrai aussi qu’Anne Hidalgo avait annoncé aussi le 7 avril que de tels masques seraient distribués à tous les Parisiens, mais on attend toujours. Mais bon, le confiné a fait son premier pas.

Vient désormais le second, le test. Il se trouve que les trois semaines de toux et deux jours de fièvre violente subis en février me laissent penser que j’ai déjà eu le Covid-19, et que, si je pouvais le vérifier, je m’épargnerais bien des soucis, vu que je serais immunisé : je ne peux plus le transmettre et plus l’attraper pendant au moins plusieurs mois et peut-être à vie. Le confiné que je suis se met donc en quête d’un test « sérologique », qui détecte la présence éventuelle des anticorps dans le sang.

Patatras, alors que c’est routinier depuis assez longtemps ailleurs, en Allemagne, en Scandinavie, les tests sérologiques ne sont pas encore homologués en France, à cause d’obscures lenteurs et procédures administratives. Pasteur vient de publier le 16 avril, ouf, ses études sur 4 produits. On manque de kits et de personnels de toute façon, et l’organisation des laboratoires est très confuse, donc il n’est pas possible pour l’instant dans les laboratoires du XIXe d’en avoir un. On ne sait pas trop si les médecins en prescrivent ou pas, et si ce sera remboursé par la Sécu. C’est bizarre, car par exemple à Beauvais, ils sont proposés à tout le monde. Un déplacement après le 11 mai, peut-être ? C’est à 82 km seulement de Paris, un beau but de promenade de déconfinement. On verra.

Pour les tests de dépistage de la maladie (ceux qui permettent de savoir si on est porteur du virus), le confiné décide pour ses enfants de se diriger vers l’unité mobile de dépistage installée bien sûr dans le XIXe, un des principaux foyers de la maladie en France. C’est inspiré de l’Allemagne, voir ici, où ils se font déjà les nouvelles sorties au cinéma à l’heure qu’il est est, et essayent leurs nouvelles chaussures au parc, vu qu’ils ont testé massivement leur population dès mars et isolé efficacement les malades, enrayant l’épidémie dans l’oeuf. C’est chouette, d’adopter les recettes gagnantes et on se dirige donc vers le bus du XIXe, c’est facile, sans lourdeurs administratives, sans ordonnance, rien, ça prend une minute :

Mais non, cher lecteur, c’est une blague ! Ces unités apparues à Marseille ou ailleurs n’existent pas à Paris. Les morts à l’hôpital se comptent en milliers pourtant ici et des dizaines de milliers de gens prennent les transports chaque jour pour faire tourner la capitale et le pays, mais il leur est interdit de savoir si, par hasard, ils n’auraient pas le virus, même sans symptômes et donc s’ils ne sont pas, par hasard, des dangers publics. Ca se résoudrait en restant à la maison 15 jours au maximum, au lieu de contaminer tout le métro (selon la dernière étude de Pasteur, la maladie ne fait que 0,5% de morts, et presque tous les autres ne s’aperçoivent même pas qu’ils l’ont – rappel). Il faudra attendre encore, mais ce n’est pas si grave, en attendant on jouera au Trivial Pursuit au chômage partiel par précaution, ou on ira bosser la peur au ventre pour faire manger les enfants.

Le confiné est dépité, mais il a quand même son masque à cinq euros. c’est une première étape. Il lui est possible autrement, voyons…d’aller au supermarché et d’acheter de l’alcool ou de faire du sport (mais pas entre 10h et 19h à Paris, c’est interdit par arrêté préfectoral).

Il peut aussi rester chez lui et attendre le mois de juin, et le déconfinement hard, le déconfinement véritable, sauvage, avec masques, tests, et tout le tintouin, (mais toujours pas la Ligue 1, la saison est définitivement annulée et la prochaine ne reprendra qu’en août, à huis clos). Il convient en attendant d’écouter de la musique pour réfléchir à tout ça. Comme il faut rester calme, et se défier de la psychose qui menace, mieux vaut écouter de la bossa. On y retournera un jour, à Ipanema.

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