
Journal d’une famille confinée à Paris 19. Aujourd’hui, l’air de Paris purifié comme par miracle, et quelques réflexions consécutives sur l’individualisme.
Enfermé, on rouvre ses vieux livres. Il y a celui-là, le recueil de poèmes d’Arthur Rimbaud (1854-1891), qu’on traine depuis la communale.
« On va sous les tilleuls verts de la promenade. Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière
Le vent chargé de bruits – la ville n’est pas loin –
A des parfums de vigne et des parfums de bière… »
L’air de Paris a repris des parfums, même si ce ne sont pas encore des parfums de vigne ni de bière. Il a repris des sons, et pas seulement celui du chant des oiseaux. Marcher le matin, son bizarre certificat en poche, pour aller chercher le pain dans des rues désertes, c’est entendre le bruit de ses pas, celui d’un volet qui grince. La ville est arrêtée, certes dans une terreur silencieuse qui monte au fil des chiffres quotidiens. A quoi ressemble-t-elle sur les cartes d’Airparif, qui mesure la qualité de l’air ? Le tableau global est celui-ci. L’échelle des couleurs est à droite, mais pas besoin de légender :

Voyons maintenant pour le dioxyde d’azote, le pire des agents polluants, émis notamment par les moteurs diesel. Moi qui regarde de temps à autre ces cartes, c’est la première fois que je vois celle-ci ainsi colorée :

Prenons enfin les particules, ces petites cochonneries invisibles émises par les pots d’échappement ou les cheminées ou par d’autres sources, qui saturent l’air, vous empêchent à la longue de respirer ou vous refilent un cancer :

Le confinement des hommes et des voitures va durer « plusieurs semaines », a dit lundi soir le Premier ministre. La sortie n’est « pas pour demain ». Il ne fait malheureusement pas de doute que d’ici là, le Covid-19 va prendre de nombreuses vies. On peut cependant se demander combien d’autres vont être épargnées par cet arrêt complet de la pollution industrielle et automobile, responsable depuis des décennies, et toujours davantage chaque jour qui passait dans l’ancien monde, d’une autre hécatombe. Selon des chercheurs allemands qui ont publié leurs travaux l’an dernier dans une grande revue scientifique, cette pollution tue 8,8 millions de personnes par an, dont 67.000 en France, comme on le lira sous ce lien. Santé publique France estime elle ce chiffre à un niveau plus bas, 48.000 victimes par an pour le pays, quand même.
Dans le monde d’avant à Paris, la fermeture des voies sur berges faisait encore débat. Les discussions politiques de la campagne des municipales ont encore, dans une large mesure, mis en doute la pertinence de la politique de la majorité sortante consistant à chasser la voiture des rues de Paris. Une politique anti-pauvres, disait certains, puisque les banlieusards auraient besoin de leur voiture pour travailler. Mais ne meurent-ils pas comme les autres de la pollution ? Les études montrent sans aucune doute possible qu’elle tue, qu’elle a aussi un impact à court terme sur les hospitalisations, qu’elle attise les bronchites, l’asthme, les maladies cardio-vasculaires, affecte – oui – le système de reproduction. Les naissances espérées, le sexe, souffrent, oui, de la pollution. Camarades humains et parisiens confinés, posons-nous donc une question : voulons-nous, dans le prochain monde, que les courbes d’évolution des différents polluants, qui évoluent comme le montrent le graphique ci-dessous, remontent ? (NO2, dioxyde d’azote, PM10, les plus petites particules, les plus dangereuses, o3 l’ozone).

Chaque confiné sait aujourd’hui, et se voit répéter, que ses actes ont une conséquence sur des vies humaines. Sortir, rencontrer quelqu’un, toucher un bouton d’ascenseur, oublier de se laver les mains, aller du point A au point B…. « Ces gestes peuvent vous sembler anodins. Ils coûtent des vies », a dit dans son allocution Emmanuel Macron. Chaque confiné reprendra-t-il dans le monde d’après son petit scooter, sa petite auto, sans se rendre compte que son geste va tuer, asphyxier ? Le Covid me montre que moi, confiné de ma taule de Paris-19, je suis relié au Chinois de Wuhan et à l’Italien de Bergame. Vais-je les oublier une fois la porte franchie ?
Pour réfléchir à ces questions, replongeons-nous dans mon vieux livre de la communale et écoutons encore le jeunot de Charleville parler de nous, quand dans l’ancien monde, nous nous bercions d’ignorance.
Nous ne pouvons savoir ! – Nous sommes accablés
D’un manteau d’ignorance et d’étroites chimères !
Singes d’hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pâle raison nous cache l’infini !
Nous voulons regarder : – le Doute nous punit !
Le doute, morne oiseau, nous frappe de son aile…
– Et l’horizon s’enfuit d’une fuite éternelle !…
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