Aux confins – Jour 9, Sharansky, le canapé et l'horizon

Journal d’une famille confinée à Paris 19. Aujourd’hui, les leçons de Natan Sharansky, le canapé et l’horizon.

Dans l’infiniment petit d’une assignation à résidence, confronté à l’univers infini qui s’ouvre dans les écrans, l’esprit peut s’égarer et on en reparlera peut-être dans quelques semaines. Dans l’immédiat, il est encore possible de faire quelques belles rencontres virtuelles, comme avec Natan Sharansky, né Anatoli Borissovitch Chtcharanski en 1948 en Union soviétique, ancien détenu du goulag dans les années 1970 devenu ministre en Israël dans les années 1990.

Cet alerte septuagénaire qui a passé neuf ans en détention dont cinq à l’isolement total a posté le 24 mars une vidéo où il propose de partager quelques « ficelles ». Il pense être modestement en position de pouvoir exposer quelques enseignements de son expérience carcérale quant au confinement, qui concerne désormais près de trois milliards d’êtres humains, dont mes deux enfants et moi. Il a cinq conseils, dont celui de garder le sens de l’humour, et celui plus profond de se dédier à une tâche ou un objectif qui ne dépende que de soi-même, et non d’une hypothétique date de sortie.

Mettons donc en pratique à notre adresse parisienne les leçons du vieux sage, en tentant une forme d’expérience scientifique à la Monty Python, qui consisterait à comparer objectivement notre condition à celle de Sharansky dans le goulag soviétique des années 1970. Nous disposons de plusieurs avantages sur lui, dont deux ici en images.

Un canapé assez confortable :

Une table où travailler paisiblement :

Pour poursuivre sur la modèle de Sharansky, comment utiliser ces avantages objectifs que nous possédons sur la condition d’un « zek » sibérien des années 70 ? Il suggère de « lire le livre que vous avez toujours voulu lire, ou d’apprendre la langue que vous avez toujours voulu parler ».

Je suis donc, à titre personnel, revenu à la langue magyare (pour des raisons personnelles, ceux qui savent, savent), qui résiste depuis plus de deux décennies à ma vive intelligence. Cette faille me relègue à Budapest à une condition humiliante similaire à celle d’un vulgaire « touriste du vomi » britannique. Pour cela, il y l’application magique et gratuite « duolingo » et peut-être, par Skype, mon ancienne professeure, enfermée plus à l’est.

Mon fils, lui, s’est plongé pour suivre les conseils de Charansky dans un des livres les plus anciens de l’Humanité, l’Iliade d’Homère. Il a pu y lire ce passage, où Hector exhorte les Troyens au combat et appelle à leur courage.

« Troyens, et Lyciens, et Dardaniens experts du corps à corps, soyez des hommes, amis, rappelez-vous votre valeur ardente, au milieu des nefs creuses. Oui, j’ai vu de mes yeux les traits d’un héros s’égarer sous l’action de Zeus. Il est aisé de reconnaître le secours que Zeus prête aux hommes, soit qu’aux uns il offre la gloire suprême, ou qu’il en affaiblisse d’autres en se refusant à les secourir. C’est ainsi qu’à cette heure il affaiblit l’ardeur des Argiens et vient à notre secours. Allons ! combattez près des nefs, en masse. Celui de vous qui, blessé de loin ou bien frappé de près, arrivera à la mort et au terme de son destin mourra, soit ! Il n’y a pas de honte pour qui meurt en défendant son pays. Sa femme et ses enfants restent saufs pour l’avenir ; sa maison, son patrimoine sont intacts, du jour où les Achéens sont partis avec leurs nefs pour les rives de leur patrie. »

Comment peut-on, de sa taule parisienne, être avec ceux qui combattent dans les hôpitaux ? En restant chez nous, nous disent-ils. Au moins ai-je respecté depuis une semaine cette solidarité minimale, évitant de me jeter vers une plage dans un train bondé comme les planqués de l’ouest de Paris. Il faudra faire davantage pour que le retour vers l’horizon, que Charansky n’a jamais oublié dans son camp soviétique, ne soit pas une honteuse Libération.

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