Déconfits – Semaine 8, « Finie, la petite auto »

Journal du déconfinement à Paris 19. Aujourd’hui, le possible début de la fin pour la voiture dans l’est de Paris, effet collatéral du Covid et nouvel objet de polémique du monde d’après.

Le virus semble avoir un peu vitrifié le XIXe, au plan électoral. Au second tour des élections municipales le 28 juin, l’abstention a presque atteint le record himalayen de…. 70% et c’est donc avec moins d’un cinquième des inscrits, (22.000 voix pour un arrondissement de près de 187.000 habitants) que la liste Hidalgo-Verts obtient en pourcentage son deuxième meilleur score de la capitale, presque 68%.

Aussi faible qu’il soit en valeur absolue, ce score semble néanmoins sonner le glas d’une époque pour l’est de Paris, celle de la bagnole triomphante. Le Covid aura grippé peut-être pour toujours le moteur de ce qui est, plus encore à Paris qu’ailleurs, un mode de vie, un état d’esprit.

On peut d’ailleurs remarquer qu’a été élu par exemple conseiller de Paris sur la liste Hidalgo du XIXe François Bechiau, ancien communiste (parti alors très peu vert mais au contraire productiviste forcené) un ci-devant fervent partisan de la voiture individuelle, désormais converti à l’écologie et au vélo (officiellement, au moins). Comme disait jadis Edgar Faure, président du Conseil sous la IVe République, « ce ne sont pas les girouettes qui tournent, c’est le vent ».

Dès le lendemain du vote, comme elle l’avait promis, l’équipe Hidalgo a interdit la circulation automobile entre Stalingrad et République sur les bords du canal Saint-Martin, haut lieu de rassemblement de la jeunesse les vendredis soirs et les week-ends et véritable « spot » du début du déconfinement, quand les parcs publics étaient encore fermés. Dans l’esprit de l’équipe municipale reconduite, la voiture individuelle est désormais très clairement érigée en ennemie.

Lui interdire de nombreuses artères comme le canal Saint-Martin va empêcher les trajets urbains et donc à terme, pense-t-elle, décourager les acharnés en les obligeant à faire des ronds interminables à 15 km/h pour atteindre leur objectif, s’ils s’obstinent à le faire au volant d’une tonne de métal fumante.

Délaissant les voies tortueuses des antiques décisions d’aménagement qui pouvaient prendre des années, la transformation de Paris en ville anti-voiture a emprunté la forme juridique d’un coup d’Etat pendant le confinement, avec pour emblème la rue de Rivoli qui traverse le centre de Paris entre Bastille et Concorde, jadis embouteillage permanent et réservée désormais aux piétons et aux vélos.

On peine à mesurer le chemin parcouru depuis deux ans, quand la droite et LREM rêvaient de prendre Paris à Hidalgo, en misant notamment sur le supposé mécontentement provoqué par les embouteillages générés par la piétonnisation des voies sur berges de la Seine, premier pas majeur de cette politique anti-bagnole.

Dans le monde d’avant le Covid, les élus qui combattaient avec virulence la politique de réduction de la voiture à Paris, avançaient notamment l’idée que cette politique serait préjudiciable aux banlieusards pauvres. Valérie Pécresse rêvait ainsi encore en 2018 de faire revenir les voitures sur les voies sur berge. C’est pourtant sans distinction de classe sociale que la pollution de l’air prend de nombreuses vies, davantage même que le Covid, au moins 48.000 par an en France selon des travaux officiels. Le Sénat, pas spécialement une institution alter-mondialiste, avait estimé en 2015 le coût global de ce problème pour le pays à …. 100 milliards d’euros par an. (santé, décès, rendements agricoles, bio-diversité, dommages aux biens,….)

A des conversations tendues avec certains concitoyens du XIXe ces derniers jours, on a cru percevoir que cette affaire de voiture serait pourtant dans les prochaines années la nouvelle ligne de fracture entre la droite et la gauche, et pas seulement à Paris et dans le XIXe bien sûr, compte tenu de la vague écologiste qui a emporté toutes les grandes villes. « On ne va pas aller partout à vélo ». « On ne tient aucun compte des pauvres et des banlieusards », répètent les nostalgiques et réfractaires de l’arrondissement.

On a pensé alors à ce passage d’un film de l’après-guerre (« Un idiot à Paris », 1967), où Bernard Blier en patron menaçait des grévistes de les mettre à la porte et d’en finir ainsi avec leur mode de vie basé sur la « petite auto », symbole (trompeur) dans toute la deuxième moitié du XXe siècle de la liberté et d’un certain bien-être économique des classes populaires.

Oui, c’est peut-être « la fin de la petite auto », d’autant que comme dans le film, les chômeurs futurs du Covid auront du mal à en financer une, à supposer qu’ils en aient envie. Le confinement est passé par là, et il paraît évident que les Parisiens préfèrent désormais en majorité une ville où la circulation automobile ressemblerait à ça :

…plutôt qu’à ça.

Mais attention, rien n’est encore gagné pour les amateurs du vélo et des transports en commun, tant la bagnole est un enjeu lourd en France. Il y avait en 2018, dernières statistiques consolidées, environ 40 millions de véhicules en circulation en France selon l’Insee. Malgré les alertes sur le réchauffement climatique, ça ne cessait d’augmenter et l’électrique, certes en développement, ne pesait que pour 1% du parc.

Dans le monde d’avant, les deux constructeurs français, Renault-Nissan et PSA, prospéraient plus ou moins. Le secteur bat désormais de l’aile. Le gouvernement a annoncé fin mai une aide de huit milliards d’euros, l’industrie étant officiellement « incitée » certes à basculer vers l’électrique. En 2018 et 2019, on frôlait les 2,2 millions d’immatriculations nouvelles au total en France, un chiffre historique et un sujet de joie pour ce secteur qui emploie des centaines de milliers de personnes dans le pays. Nul doute que son seul souci est désormais d’y revenir.

De plus, beaucoup de Parisiens qui ne se voient pas monter dans une rame de métro bondée avec un masque se sont rués à nouveau sur la voiture après le déconfinement, faisant spectaculairement, comme on le lit ici, remonter la pollution.

C’est donc une rude bataille qui s’annonce, après la victoire par KO des bicyclettes lors du round du Covid. Dans un dérapage de subjectivité, on tentera de faire vaciller les partisans de la bagnole avec le vieux Californien Chris Rea, qui bien avant le Covid et même avant les écologistes, expliquaient aux acharnés de la petite auto qu’ils étaient sur « la route de l’enfer ».

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