
Journal du déconfinement à Paris 19. Aujourd’hui, l’histoire, la place et le rôle essentiel dans le XIXe du parc des Buttes–Chaumont, fermé depuis mi-mars en application d’une décision scientifiquement absurde et socialement injuste.
Ruiné, démoralisé, hébété, désoeuvré mais déconfiné, le sous-Parigot du XIXe cligne des yeux dans la lumière éclatante de ce printemps sublime. Il lève timidement la tête lorsqu’il sort enfin, mais ses pas hésitants se heurtent aux grilles fermées du parc des Buttes-Chaumont. Ce parc de 25 hectares, l’un des plus beaux de Paris avec ses pelouses somptueuses et verdoyantes, sa grande cascade qui culmine à 32 mètres, sa rivière, sa grotte artificielle, sa passerelle suspendue à 65 mètres de hauteur, son petit temple de la Sybille qui réplique celui du Tivoli à Rome, ses trois restaurants et leurs sublimes terrasses, véritables pièges pour toute conquête amoureuse potentielle, est fermé depuis le début du confinement mi-mars.
Relisons cette phrase pour prendre conscience de l’infinie absurdité de ce moment hors du temps du Covid-19, où l’Etat donne toute la mesure de l’impréparation, de l’autoritarisme et de l’inconséquence dont il est capable quand il perd les pédales. « Le parc des Buttes-Chaumont (…) est fermé ». A quoi cela peut-il bien servir ? (sachant que la totalité des espaces verts de Paris subissent le même sort). Le chef du gouvernement Edouard Philippe l’a expliqué ainsi à la maire de Paris Anne Hidalgo (qui réclame l’ouverture de tous les espaces verts) dans une lettre qu’il lui a envoyée cette semaine. « L’Ile-de-France étant, dans son ensemble, classée dans la catégorie (rouge), il n’est pas envisageable, à ce stade, d’y autoriser l’ouverture des parcs et jardins ».
Suivant donc cette logique gouvernementale, le fait de permettre aux sous-Parigots du XIXe de s’aérer aux Buttes favoriserait la circulation du virus. Argument évidemment absurde. Ouvrir cet espace est au pire un très satisfaisant pis-aller, étant donné que les sous-Parigots déconfinés iront de toute manière se réunir quelque part, donc dans des espaces clos ou moins ouverts. Si on n’ouvre pas les parcs et jardins à la promenade et au sport, les Parisiens seront renvoyés à des trottoirs ou à des espaces plus étroits comme les berges ou le canal Saint-Martin. Cela se vérifie tous les jours, avec l’entassement de foules de plus en plus compactes sur les canaux du XIXe, ainsi que ce blog l’a déjà chroniqué dans le post précédent.
Si on ouvre le parc, à l’inverse, on peut y voir davantage qu’un pis-aller. Au mieux en effet, le parc des Buttes peut même être considéré comme un instrument de lutte contre la circulation du virus et la démoralisation de la population : un corps à la fois détendu et renforcé par le sport et la promenade offre moins de prise à la maladie et l’ouverture du parc serait un signe puissant d’un début de retour à la normale pour une population éprouvée.

Tout ceci a d’autant plus de poids qu’on rappellera, comme il a déjà été écrit ici, que la contamination par le Covid-19 – qui passe, on le sait, par les postillons des personnes infectées – se déroule, selon toutes les études internationales, non en milieu ouvert mais plutôt en milieu clos (milieu familial, transports, réunions religieuses, sportives, etc…) et par des conversations en vis-à-vis sans masque. Attraper le virus en croisant quelqu’un dans un parc est hautement improbable et le serait encore plus si on filtrait les entrées pour éviter une affluence trop importante par exemple, ce qui est parfaitement possible aux Buttes, entourées de grilles.
De ce fait, les parcs n’ont d’ailleurs jamais fermé dans des pays moins touchés que la France (Allemagne, Suède) ou même plus touchés (Royaume-Uni). Pour le reste, dans l’absolu, le virus flotte-t-il dans l’air de l’extérieur, est-il « aéroporté » ? Ce sujet ne semble pas encore clair. Bruno Grandbastien (président de la Société française d’hygiène hospitalière) explique sous ce lien ici dans une vidéo : « le risque n’existe pas dans l’atmosphère de la ville, des lieux publics, il est complètement nul ». Il l’a répété ici sur une télévision, relativisant une étude américaine laissant penser que le virus survivrait dans l’air.
Une étude récente, évoquée dernièrement dans Le Monde, soutient au contraire que des « nuages » de gouttelettes pourraient se propager jusqu’à six mètres de distance sans dilution significative dans l’air extérieur. Les chercheurs recommandent donc le port du masque. Il demeure que ce scénario d’une contamination en marchant dans la rue semble au minimum peu courant, et en toute hypothèse moins évident qu’en milieu plus clos. La fermeture des Buttes-Chaumont semble donc à l’évidence aberrante au plan sanitaire et scientifique.D’ailleurs, les médecins la critiquent.
Au plan social, c’est de plus, incontestablement, une grave atteinte à l’égalité républicaine. En effet, le sous-Parigot du XIXe ainsi d’ailleurs que tous les autres Parisiens et citadins des zones dites « rouges », logés à la même enseigne, se trouvent ainsi condamnés à suffoquer.
Pendant ce temps, les habitants des zones côtières et les « corona-touristes » – les 1,2 million de Franciliens partis y jouir de leur résidence secondaire ou d’une location – peuvent sortir sur les plages. Ils subissent aussi certes des mesures psychotiques, voire ubuesques, telles que l’instauration d’un sens de circulation unique, l’interdiction de poser sa serviette ou l’obligation d’une réservation de places. Mais ils peuvent s’aérer.
Fermer les Buttes-Chaumont au petit peuple du XIXe est d’autant plus offensant que le parc a été bâti pour lui sous le Second empire, à l’initiative de Louis-Napoléon Bonaparte. Il avait voulu enjouer ce site jadis sinistre, qui fut d’abord proche d’un lieu d’exécution par la pendaison, puis fut une décharge, puis lieu d’équarrissage des carcasses d’animaux puis carrière. A l’époque des travaux, le site ressemblait à ça.

L’empereur, qui avait été président de la IIIe République (1848-1852) avant de virer dictateur, souhaitait oeuvrer pour le petit peuple ouvrier de l’est de Paris et s’en concilier les bonnes grâces. A l’époque, le secteur était en effet un faubourg industriel et très industrieux et c’est encore Napoléon III qui a rattaché ce secteur à Paris pour en faire une partie intégrante de la capitale.
Le parc a été inauguré en 1867 après quatre années de travaux gigantesques menées par les plus grands spécialistes de l’époque, Jean-Pierre Barillet-Deschamps (jardinier), Gabriel Davioud (architecte), Eugène Belgrand (ingénieur), Jean-Charles Alphand (directeur des promenades de Paris, déjà chargé de l’aménagement des parcs Monceau et Montsouris et des bois de Boulogne et Vincennes.) Ce « cadeau » de l’empereur aux ouvriers de l’est de Paris ne lui profitera certes guère, politiquement, puisqu’ils seront en pointe de la révolte contre son régime sous la Commune de Paris en 1871.
Si celui qui avait offert le parc aux Parisiens a été ainsi puni, que subira ici le gouvernement qui lui a fermé ses portes sans motif valable, au pire moment ? L’avenir le dira (on ne pense pas à une révolte armée, on vous rassure, on pense plutôt aux scrutins prochains) mais il y a peu de suspense. Le pouvoir Macron n’est déjà pas très populaire dans le XIXe, où la gauche et les écologistes ont totalisé au premier tour des municipales en mars les deux tiers des suffrages, tandis que le candidat des listes LREM piétinait en dessous de 12%.
Une question cependant se pose : toutes ces données scientifiques, sanitaires et sociales étant sans doute connues du gouvernement, pourquoi s’obstine-t-il à laisser les Buttes et les autres parcs fermés ? Il y a une forme d’énigme politique a s’acharner dans une décision sans fondement rationnel et de surcroit hautement impopulaire, dont l’adversaire politique Anne Hidalgo fait son miel.
On se contentera d’une hypothèse dérangeante mais cependant cohérente avec l’état d’esprit apparent à l’Elysée et à Matignon : il semble que le gouvernement recherche un effet psychologique, en envoyant un message à la population d’interdiction de jouir du plaisir des espaces verts au printemps-été. Il faut, semble penser le pouvoir, que cette population saisisse que la situation est toujours grave et qu’il ne faut pas se « relâcher ».
On avance cette explication sans éléments directs mais par analogie avec un autre dossier, celui du championnat de football. Il a été, on le sait, interrompu définitivement fin avril sur injonction du Premier ministre Edouard Philippe et du gouvernement, alors que tous les autres grands championnats européens, qui avaient temporisé, vont finalement reprendre à huis clos à juin.
Le JDD a expliqué début mai que cette décision française avait été prise au niveau politique car il s’agissait, aux yeux du pouvoir, de faire comprendre aux Français qu’ils entraient dans une période d’urgence où les comportements devaient changer. Cette décision étrange et autoritaire (en quoi le gouvernement aurait-il autorité directe sur le football professionnel ?) s’avère finalement contre-productive, puisqu’elle prive la France d’un outil pour détendre quelque peu l’ambiance dans le pays lors du déconfinement et favoriser la reprise économique. De surcroit, elle coûte à l’Etat un prêt garanti de 224 millions d’euros aux clubs de Ligue 1, destiné à pallier le manque à gagner des droits de retransmission télé, plus le chômage partiel versé à certains joueurs pourtant millionnaires.
On peut avancer donc une analogie avec la crispation du pouvoir sur les parcs publics : il s’agirait de faire comprendre sans doute au petit peuple qu’il n’a pas encore le droit de revenir à la légèreté, moyennant quoi on favorise des rassemblements à domicile ou dans des lieux moins ouverts, et donc une reprise des contaminations. Cette stratégie, si c’est bien celle du pouvoir (mais comment explique autrement une décision aussi absurde ?) converge avec la tonalité d’infantilisation générale des options du gouvernement.
Il a pendant le confinement imposé ainsi, au mépris des libertés fondamentales, la délivrance d’un laisser-passer pour faire ses courses, son jogging ou faire sortir uriner le chien, puis a limité ensuite les déplacements à 100 km moyennant un nouveau document obligatoire, puis il a fini par dire aux Français – comme s’il était leur mère – où ils devraient prendre leurs vacances (en France, bien sûr, pour relancer le secteur du tourisme).
Pendant qu’en Allemagne, en Suède ou au Royaume-Uni, on donne l’information aux citoyens, qu’on laisse les parcs ouverts et qu’on mise sans autoritarisme ni patrouilles policières sur leur responsabilité, en France, il leur est donc interdit par arrêté préfectoral de jouir (sans base scientifique), et imposé sous peine d’amende de bien se comporter.
Le pouvoir Macron, sur un registre bonapartiste « première époque », prend donc ses citoyens pour des jambons. Ces derniers le lui rendent bien, puisqu’il est le plus critiqué d’Europe pour sa gestion de la crise selon les enquêtes d’opinion. Même l’inénarrable chef de gouvernement britannique Boris Johnson, qui se vantait de serrer la main aux malades du Covid avant de presque succomber à la maladie, bat Emmanuel Macron et Edouard Philippe.
Ce dernier va peut-être enfin nous ouvrir les grilles des Buttes lors de ses annonces de jeudi 28 mai sur la « deuxième phase ». On l’aidera à y réfléchir avec l’Ancien, Maxime Le Forestier, qui comparaît son sort à celui d’un arbre dans la ville. On se sent aujourd’hui comme ce grand Ancien, sous-Parigot opprimé.
Entre béton et bitume/Pour pousser je me débats/Mais mes branches volent bas/Si près des autos qui fument/Entre béton et bitume/Comme un arbre dans la ville/J’ai la fumée des usines/Pour prison, et mes racines/On les recouvre de grilles/Comme un arbre dans la ville