
Journal d’une famille confinée à Paris 19. Foyer de l’épidémie, le XIXe sera puni avec le maintien de l’interdiction de marcher sous les arbres des parcs et le report de la réouverture des collèges, tandis que les plages s’ouvrent aux corona-touristes « confinés » sur la côte.
Etre malade à ce point, c’est vraiment mettre de la mauvaise volonté dans l’application de la juste politique de confinement décidée pour l’intérêt général par notre gouvernement. Après 52 jours, le bilan n’est en effet pas brillant pour Paris et particulièrement pour l’est de la capitale, la partie où les habitants ont été bien obligés de rester, soit qu’ils travaillent dans les métiers indispensables à la Nation, soit qu’ils n’aient pas les moyens de s’offrir un point de chute au vert.
Le 7 mai (voir le bilan détaillé ici) Paris intra-muros comptait 1.863 personnes toujours hospitalisées pour le Covid-19 (dont 349 en réanimation, un chiffre en baisse très lente, -24 depuis la veille) et 1.560 décès. Juste de l’autre côté du périphérique, en Seine-Saint-Denis, où habitent nombre de petits employés, ça ne rigole pas non plus : 1.379 patients hospitalisés dont 148 en réanimation et 878 décès depuis le début de la crise, un des plus forts taux nationaux.
La capitale et sa banlieue sont donc punis par un classement en zone dite « rouge » pour le pseudo-déconfinement prévu le 11 mai. Les Parisiens n’auront pas le droit d’aller dans les parcs, qui resteront fermés et ils ne pourront pas envoyer leurs enfants au collège, contrairement aux heureux résidents des zones « vertes ». Ils ne pourront pas non plus partir au-delà de 100 km « à vol d’oiseau », une distance manifestement calculée pour les empêcher d’aller prendre l’air à la mer après deux mois d’étouffement et de ruine éventuelle dans des logements exigus et quelquefois surchauffés, avec ce si joli printemps.
Il faudra produire encore une nouvelle version de la fameuse « attestation » liberticide pour se déplacer pour motif professionnel ou familial impératif, et toute infraction sera sanctionné de 135 euros d’amende. C’est vrai que beaucoup de Parisiens, notamment du XIXe, ne penseraient pas forcément aller à la mer de toute manière, car pour l’instant, ce qui importe pour un nombre croissant, c’est de trouver à manger : les distributions d’aide d’urgence sont très sollicités partout dans l’arrondissement après deux mois au régime sec pour les salariés pauvres et/ou non déclarés.
Pendant ce temps, les 1,2 million de franciliens qui ont quitté la capitale (en général les plus favorisés), et sont hébergés dans les meilleures conditions au vert, verront leurs déjà enviables conditions de vie notablement s’améliorer : les plages pourront être rouvertes sur autorisation préfectorale. Ils auront le choix entre refuser de remettre leurs petits enfants à l’école (le choix est libre, a dit le gouvernement, alors que l’école est légalement obligatoire) et donc rester au grand air jusqu’en juin ou même en septembre, ou au contraire décider de rentrer à Paris pour relancer enfin la machine scolaire et économique, au bénéfice de tout le monde. On se demande ce qu’ils vont choisir.
La règle des 100 km ne les concerne curieusement pas : ils ont le droit de revenir chez eux, a dit le ministre de l’Intérieur. « Nous n’interdisons pas aux Français de rentrer dans leur domicile principal pour reprendre leur travail ou scolariser leurs enfants à partir du 11 mai. Nous ne souhaitons pas empêcher les Français de se déplacer mais au virus de se déplacer », a dit Christophe Castaner. Mais en quoi un déplacement mer-Paris peut-il être licite et sûr alors qu’un déplacement de Paris vers la mer ne le serait pas ? En quoi un exode de retour des Parisiens vers Paris serait-il moins risqué au regard de la circulation du virus que des déplacements dans l’autre sens ? On ne sait.
De la même façon, en quoi marcher dans un parc pour s’oxygéner serait-il plus préjudiciable au contrôle de l’épidémie que de marcher dans une rue ? En quoi forcer les enfants à se réunir dans des logements (parce qu’après 53 jours, ils vont bien sûr se retrouver) serait-il mieux que les laisser se retrouver en plein air ?
Les parcs n’ont jamais été fermés en Allemagne, Autriche, Suède, autres pays scandinaves, et dans beaucoup d’autres endroits comme l’Europe centrale. Les chiffres de l’épidémie y sont tellement meilleurs que le déconfinement y est bien plus avancé qu’en France : les Allemands vont même, symbole suprême, reprendre le championnat de football mi-mai, alors que pour la France le rideau est déjà tiré définitivement.

En quoi aussi rouvrir les collèges de manière très partielle, échelonnée et avec 53 pages d’un « protocole sanitaire » qui noie le moindre passage au toboggan dans un déluge de désinfectant et de gel hydro-alcoolique serait-il plus risqué aujourd’hui que dans trois semaines ou même dans trois mois ? Le virus, sauf miracle, ne va pas s’évanouir comme par miracle dans l’air de juin ou de juillet ou même d’août, a-t-on cru comprendre.
En Suède, les petites écoles n’ont jamais fermé et il ne s’est rien passé de particulier quant à l’épidémie. Les contaminations sont moindres qu’en France et l’épidémie y est davantage sous contrôle (3.000 morts environ pour 10 millions d’habitants et des hôpitaux en contrôle, voir ici). L’épidémiologiste suédois qui a présidé à cette stratégie l’explique bien ici. « Ce que nous démontrons en Suède, c’est qu’ouvrir les écoles a peu d’effet sur l’épidémie. Cela présente peu de danger », dit-il. Il croit avoir démontré que les enfants (qui ne développent jamais de formes graves du Covid-19) sont peu contaminants, ce que d’autres travaux ailleurs tendent à confirmer. Les écoles ont déjà rouvert en Allemagne, en Autriche, en Norvège, au Danemark, notamment, sans problème particulier qu’on connaisse.
A quoi sert-il donc de maintenir des écoles fermées, et avec elles des enfants enfermés dans des conditions parfois cruelles, dans de petits logements où le travail scolaire est impossible ? Un pédopsychiatre a averti publiquement les autorités que laisser des enfants enfermés à domicile dans un état de psychose collective et de marasme social présentait de graves risques. « Nous voyons des patients avec des troubles anxieux, alimentaires ou dépressifs, voire des automutilations. Dans beaucoup de cas, ces symptômes surviennent chez des enfants et adolescents sans antécédents psychiatriques. Dans la situation actuelle, le risque suicidaire chez les jeunes n’est pas négligeable », dit Richard Delorme, chef de service à l’hôpital Robert Debré.
Ne serait-ce donc pas en réalité le gouvernement français qui s’enferme dans sa stratégie de confinement, dont le succès est pour le moins douteux, avec un bilan de près de 26.000 morts, l’un des pires au monde, qui progresse encore tous les soirs ? Ne chercherait-il pas avec le confinement un mauvais remède à son incapacité de mener une stratégie moderne, ciblée et adaptée à une maladie sans vaccin ni traitement mais qui reste inoffensive pour 97% des malades, et n’en tue que 0,53% selon l’institut Pasteur ?
Au lieu des masques, des tests, toujours rationnés dans le XIXe en ce 7 mai, et des traitements précoces aux antiviraux comme à Hong-Kong (bilan de 4 morts), a-t-on donc choisi de punir tous les malades et tous ceux qui ne le sont pas, et en particulier les sous-Parigots ? Tout cela ne serait-il pas un raté monumental, un malentendu gigantesque qui va plonger toute la population française dans la psychose pour longtemps et en pure perte ? Pourquoi les sous-Parigots et les autres ne peuvent-ils pas traités comme des adultes, avec la liberté et la responsabilité d’observer d’eux-mêmes les attitudes limitant la propagation du virus ? Ceci va bien sûr avec la possibilité de savoir s’ils sont porteurs de la maladie, et donc avec des tests massifs. Est-il juste qu’ils se voient, à défaut d’organisation pour cette stratégie, imposer un sort qui s’alourdit avec leur exposition théorique à la maladie, avec la police à leur porte ?
Comme on n’est ni médecin, ni philosophe, on attendra encore pour répondre à toutes ces questions et on y réfléchira gravement avec Patti Smith, qui rappelait sèchement que, en toutes choses et notamment chez nous, le pouvoir doit appartenir au peuple.
I awakened to the cry/That the people have the power/To redeem the work of fools/Upon the meek the graces shower/It’ s decreed the people rule