
Journal d’une famille confinée à Paris 19. Aujourd’hui, du positif sur les arbres du XIXe.
Le confiné du XIXe ruiné, déjà condamné après le 11 mai à un chômage ennuyeux et à manger des pâtes midi et soir, qui traverse un désert sentimental et sexuel depuis 39 jours, vire lentement à la psychose avec son masque en tissu à 8 euros et son eau de Javel, passe son temps à critiquer le gouvernement et à demander des aides sociales sur le web, a quand même quelques raisons de se réjouir. Parmi elles, les arbres qui semblent n’avoir jamais été aussi beaux à Paris dans ce printemps si radieux, vu de la fenêtre.
Est-ce parce qu’on a le temps qu’on voit désormais des couleurs qu’on ne voyait jamais, qu’on hume des parfums inconnus ? Avenue Laumière, ça aurait presque l’air gai. Un peu partout même sur le quai des « rhumes » où rode la police, à la recherche des joggeurs d’avant 19h, les couronnes des arbres étincellent d’un vert inhabituel. Le rabougri semble sortir de son cocon. Le minéral serait-il enfin repeint enfin dans cette ville qui chérit la bagnole ?


On peut même remarquer que les très discutables ouvrages de végétalisation cra-cra aménagés à la discrétion des habitants au pied des arbres et d’ordinaires ravagés par la pollution et la pisse de chiens, auraient tendance à prospérer, et ressembleraient vaguement à de la végétation :

C’est donc le virus qui donnerait un peu de couleurs à cette politique de végétalisation de la Ville de Paris, pour l’instant critiquée et jugée un peu courte. Elle avait quand même le mérite d’exister par rapport à l’époque pas si lointaine où Chirac rêvait de faire passer une autoroute au pied de Notre-Dame et bétonnait à qui mieux mieux, notamment dans le XIXeme.
Sans qu’aucune étude n’ait été effectuée, il semble évident que la baisse de la pollution de l’air, ramenée quasiment à zéro selon Airparif depuis le début du confinement, n’a pu faire que du bien à nos arbres. Même ceux qui essayent de nous faire croire que prendre la voiture tous les jours peut rester un modèle de civilisation urbaine ne peuvent en effet pas ignorer qu’il s’agit d’un poison pour les hommes comme pour les arbres, lire ici.
Avec la pollution, c’est prouvé, les arbres fabriquent des branches déformées et jaunissent. Les particules grasses de diesel bouchent les pores des feuilles. La plante respire mal, la photosynthèse est perturbée. Les pluies où se rencontrent l’eau et la pollution fabriquent un acide corrosif, d’où des feuilles brûlées et un sol qui perd de sa fertilité.
Or, l’arbre est essentiel pour le Parisien moyen déjà tourmenté par son bullshit job, et la vie sentimentale cahotique qu’il tente de mener dans son 30 m2 avec souvent, de surcroit et pour environ 100.000 à 200.000 d’entre eux, un chien (qui aime les arbres aussi, mais pour les dégrader).
Comme on le lira ici, l’arbre est un absorbant de CO2 anti-réchauffement, un climatiseur, un purificateur d’air et un refuge pour les oiseaux et un tas de petits animaux. Notamment depuis que les étés montent à plus de 40 degrés, le Parisien en a ras-le-bol d’étouffer sans verdure et il fuit d’ailleurs la capitale. La ville a perdu plus de 53.000 habitants entre 2012 et 2017, et même si ce n’est pas le seul facteur, la minéralité et le gris muraille y sont pour beaucoup.
C’est tellement évident que lors de la campagne des municipales, les candidats on rivalisé de propositions loufoques à propos des arbres. On passera par charité assez vite sur l’idée de l’inoubliable candidat LREM Benjamin Griveaux de déplacer la gare de l’Est sur le périphérique pour planter des arbres dans un « central Park à la française ». On soulignera aussi que la proposition de la toujours favorite maire sortante Anne Hidalgo, planter 170.000 arbres sur le mandat, paraissait mathématiquement fantaisiste. Mais tout cela illustre une urgence et une préoccupation de l’opinion, maladroitement répercutée dans les programmes.
Ce n’est pas que l’est de Paris soit la partie la moins feuillue de la capitale, dans l’absolu elle ne s’en sort pas si mal, comme le montre cette carte.

Mais ces statistiques sont déformées par la présence dans le XIXe du parc des Buttes-Chaumont et du parc de la Villette. Ailleurs, ses rues restent assez pauvres en vert, comme dans le reste de la capitale. Selon un classement officieux, le XIXe n’arriverait qu’en sixième position sur 20 arrondissements pour la proportion d’arbres par habitant. Selon les évaluations de ce site écologiste en 2019, Paris ne compte globalement qu’un arbre pour 11 habitants, bien loin de certaines villes bretonnes comme Rennes qui se vante de compter 1 arbre pour 2 habitants, avec un patrimoine arboré de près de 95 000 arbres pour seulement 211 000 habitants.
A Paris, les arbres sont souvent alignés le long des avenues, et l’impression de fraicheur et de repos est donc toute relative en présence d’un trafic automobile massif. Si vous voulez le savoir, les arbres d’alignement les plus présents à Paris sont les platanes (30,6%), les tilleuls (6,7%) les érables (4,1%), les chênes (1,6%) ( les peupliers (1,5%). Autrement, ailleurs, le maronnier est important aussi. Le plus vieil arbre de Paris, 400 ans, se trouve près de Notre-Dame.
On verra ici une carte interactive des arbres parisiens. Il y en a 14.000 environ dans le XIXe pour 200.000 habitants. Et après le Covid, donc, quand les bagnoles vont revenir ? Nos arbres redeviendront-ils plus gris, plus chétifs ? On voit bien quelle question se profile derrière les branches de nos arbres du XIXe : va-t-on continuer comme avant après le 11 mai en matière de politique d’environnement, d’aménagement urbain, de lutte contre la pollution ?
Des associations comme Greenpeace, ici avec 5 questions, se positionnent déjà pour montrer qu’un répit ne suffira pas pour la Nature. Le Medef, de son côté, demande carrément qu’on mette de côté les normes de protection de l’environnement pour mieux relancer la machine productive. Autant dire que ce n’est pas gagné pour le vert de nos arbres. Profitons-en bien pendant que nous sommes encore claquemurés dans nos taules, et prenons des photos.

Et on y réfléchira avec les Cure, qui parlaient déjà de forêts, et de ce qu’on peut y trouver, il y a longtemps.
Come closer and see/See into the trees/Find the girl/If you can/Come closer and see/See into the dark/Just follow your eyes/Just follow your eyes