
Journal d’une famille confinée à Paris 19. Aujourd’hui, le retour de la faim dans les logements sociaux et les rues du XIXe.
C’est une petite musique qui monte aux oreilles des enseignants et des parents d’élèves du collège Pailleron, dans le XIXe arrondissement, en face de ma taule : la rentrée du 11 mai, ce sera difficile mais ce sera sûrement bien pour les enfants, car ils doivent reprendre le fil des cours, et surtout…. retrouver la cantine et le repas de midi à moins de un euro. Car au 37eme jour de confinement sans école et sans travail, les enseignants de Pailleron ne mettent guère en avant pour l’instant les réticences de la profession à rouvrir les portes des classes, conscients peut-être qu’un fléau qu’on pensait disparu a fait sa réapparition à Paris : la faim.
C’est l’histoire, rapportée par une enseignante, de cette dame étrangère qui vivait de ménages non déclarés. Elle a donc perdu tout revenu depuis le début du confinement, n’ose pas sortir de peur de « tomber » lors d’un contrôle policier et vit claquemurée avec ses enfants qui ne mangent désormais plus à tous les repas. Ce sont les autres histoires de ces familles souvent monoparentales, de petits employé(e)s non déclarés ou déclarés mais qui ne touchent plus, au mieux, que 84% du salaire minimum en situation de chômage partiel, ou 84% d’un salaire à temps partiel, autant dire une misère.
Le gouvernement a prévu de verser à chaque famille bénéficiaire du RSA ou de l’allocation de solidarité spécifique une aide de 150 euros, plus 100 euros par enfant, et les familles touchant des aides au logement percevront également 100 euros par enfant. Le pécule peut cependant être vite épuisé car le confinement doit durer encore jusqu’au 11 mai, la rentrée scolaire étant ensuite progressive. A Pailleron, ce sera le 18 ou le 25 mai selon les classes.
En temps ordinaire à Paris, plus de 25 millions de repas sont servis chaque année dans les cantines de 656 écoles, 46 collèges et 13 lycées, avec des tarifs en dix tranches adaptés aux revenus, allant de …. 0,13 euros à 7 euros le repas, voir ici. Il s’agit donc d’une aide sociale indirecte. Sous la pression des parents, la municipalité a plutôt augmenté ces dernières années la qualité nutritionnelle des repas et leur équilibre.
Beaucoup risquent donc de trouver le temps très long d’ici la rentrée. Un salaire amputé, la cantine scolaire qui fait défaut et des prix qui flambent au supermarché, et c’est la table du repas qui peut se vider. La grande distribution répercute notamment sur les produits frais, où ne joue plus la concurrence étrangère, les prix élevés des approvisionnements désormais presque exclusivement nationaux. L’UFC-Que Choisir en a fait un petit bilan édifiant, concernant les produits frais, et publié ce 22 avril dans Le Parisien. Pour une famille de cinq personnes, un panier de courses à 100 euros peut durer à peine deux jours.

Dans le XIXe comme ailleurs, c’est donc tout un pan de la société, déjà sur la corde raide avant le confinement, qui semble avoir franchi la ligne rouge vers l’extrême pauvreté après plus d’un mois de désocialisation. A Paris XIXe, selon ces chiffres de 2015, ce sont par exemple 7.000 personnes (3% de la population) qui vivaient dans l’arrondissement du RSA, avant le confinement (ce peut être soit une allocation minimale, mais plus souvent le complément d’un revenu de petit travail). Beaucoup d’autres familles tiennent le coup avec ce type d’allocation complémentaire, logement, familiales, …. Sans revenus de travail, le solde passe en dessous du rouge.
La presse et les élus ont déjà tiré la sonnette d’alarme la semaine dernière à propos des quartiers populaires de banlieue, juste à côté du XIXe, de l’autre côté du périphérique, comme dans ce reportage du Monde publié le 18 avril. A Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, les distributions d’aide alimentaire font le plein, rapportait ce sujet : 190 personnes se sont présentées la première fois, 490 la deuxième, puis 750.
Dirigeant d’un collectif d’associations d’aide, Mohamed Mechmache explique dans ce reportage que cet afflux est sans précédent. « Il y a urgence. Des centaines de personnes que nous ne connaissions pas sont en train d’apparaître sur nos radars. On ne sait pas comment elles vont trouver les ressources un mois de plus pour se nourrir. »
Le rôle social-clef des cantines scolaires (service public à la charge des communes, obligatoire dans le secondaire mais facultatif dans le primaire) est bien connu et avait l’objet en juin 2019 d’un rapport du Défenseur des droits, autorité administrative qui plaidait contre toute forme de discrimination ou d’exclusion (il évoquait notamment le problème des repas avec porc qui excluaient de fait juifs et musulmans, mais aussi de problèmes ponctuels de tarification, mais pas à Paris).
« En moyenne 7 enfants sur 10 fréquentent les cantines des écoles primaires. Le rôle joué par la cantine apparaît également de plus en plus important pour certains enfants, en particulier les plus pauvres, le repas du midi pouvant constituer le seul repas complet et équilibré de la journée », lisait-on dans ce rapport. Le problème de la faim peut être très démobilisant au plan scolaire pour les enfants. Evidemment, ils auront d’autant moins envie de suivre les cours à distance qu’ils ont le ventre vide.
Cette situation est d’autant moins supportable que les familles les plus pauvres sont évidemment logées de manière inconfortable et exigüe, comme le tiers des Français qui vit en appartement. Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir se transformer en Corona-vacancier, comme le montre ce graphique publié par Le Figaro ce 22 avril.

Une autre population du XIXe semble aussi sombrer dans la faim : les sans-domiciles. Dans l’arrondissement, c’est une population hétéroclite rassemblant des marginaux, des migrants en errance et une partie un peu moins miséreuse qui navigue entre travail non déclaré occasionnel, revenus plus ou moins licites et hébergements variables de fortune. Privée aussi de ressources et entravée dans les déplacements, cette population sombre aussi dans la faim. Les associations du quartier appellent aux dons pour tous les mal-nourris, comme aux heures sombres des romans de Dickens.

Cruel aussi pour nos regards aveuglés, le Covid remet donc en lumière le fait que la France, pays parmi les plus riches au monde, et particulièrement sa capitale, n’ont toujours pas réussi à endiguer la misère.
On y réfléchira non pas en musique, pour une fois, mais avec cet ancien discours de Victor Hugo, tenu en tant que député le 9 juillet 1849 à l’Assemblée nationale, sous la IIe République. Dans ce discours fameux ici repris par des acteurs, il reprochait déjà aux élus de ne pas avoir fait assez pour « détruire la misère ».
« Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli ».