
Journal d’une famille confinée à Paris 19. Aujourd’hui, du bon usage de la pédale comme geste-barrière.
Quand le confiné parisien moyen a encore terminé une autre journée à critiquer le gouvernement et à lui dire ce qu’il aurait fallu faire sur les réseaux sociaux, à réaliser au fil du télétravail et des vaisselles que sa vie et son métiers sont inutiles et que son couple prend l’eau, à regarder ses enfants jouer à Fortnite au lieu de lire Albert Camus, à passer à l’eau de Javel les poignées de portes et à nettoyer le pipi du chien qui vire névrosé, il lui reste une solution hardie pour tenter d’échapper à la folie : le vélo. Elle n’est certes pas légale totalement dans le cadre de la suspension de nos libertés fondamentales.
Chaque confiné non planqué sur la côte et resté à portée de la maréchaussée sait en effet désormais qu’il lui est interdit, sous peine de 135 euros, de s’éloigner à plus d’un km de son domicile et pour plus d’une heure. De surcroit, à Paris, la possibilité d’exercice physique a été interdite entre 10h et 19h.
Si bien que le service de vélos en libre-service Vélib, qui commençait tout juste à se relever des conséquences du calamiteux changement d’opérateur intervenu en 2018, et aurait pu prospérer enfin, est au contraire à l’arrêt depuis le début du confinement, ainsi que le montre ce graphique établi par Le Monde à partir de chiffres officiels :

N’écoutant que mon courage, je me suis pourtant livré de nuit dernièrement à une sortie en Vélib, au prix donc d’une légère transgression (relative, car la carte de presse nous classe en théorie parmi les privilégiés ayant conservé la liberté de circulation, ce privilège étant toutefois fréquemment contesté par les pandores, qui réclament fréquemment et irrégulièrement d’autres certificats).
Peu importe, je fus donc probablement parmi les premiers hommes de la Création à faire à bicyclette le trajet place Stalingrad, canal Saint-Martin, République, Opéra, rue Lafayette, gare du Nord, retour à Stalingrad, sans croiser plus qu’une dizaine de passants et une poignée de voitures. Je fus aussi sans doute parmi les premiers hommes de l’Histoire, sinon le premier à pouvoir observer boulevard Magenta, à deux pas de République, des animaux sauvages ayant élu domicile dans les flaques d’eau, là où d’habitude passent plusieurs centaines de voitures par minute.
Grisante expérience extraite d’un quotidien banal : ce qui était avant le Covid une purge risquée pour citadin rétif à la bagnole est désormais une aventure transcendantale du monde d’après. Croiser des canards nichant là où d’ordinaire périssent les poumons urbains. Etre le roi de Paris avec la petite reine, et sur un vélo d’emprunt, même.
Cette expérience fascinante a dû être faite par les élus de Paris, puisqu’on sent que désormais ils ourdissent de nouvelles expérimentations pour le monde d’après, destinées à tordre le cou à la funeste obsession parisienne de la bagnole. Peut-on rêver, doivent-ils se dire, d’une circulation dans la capitale qui ressemblerait à ça ….? (carte établie par Le Monde à partir de données officielles).

… au lieu de ça ?

Dans un entretien au JDD sur l’après- confinement, la maire de Paris Anne Hidalgo (bien partie pour être réélue après le premier tour des municipales, si les résultats sont maintenus) envisageait ce dimanche de réserver certains axes aux vélos et de piétonniser définitivement certaines rues, afin de « ne pas se retrouver avec plus de pollution ». Elle souhaite aussi qu’on encourage le télé-travail, découvert par des centaines de milliers de banlieusards. S’il est maintenu, il pourrait significativement soulager l’infernal trafic automobile quotidien de ces employés, ainsi que leur stress et leurs factures.
Là aussi, comme d’habitude dans cette épidémie, nous sommes à la traîne des Allemands, des amateurs anciens du vélo en ville, qui possèdent 72 millions de bicyclettes, donc bien plus d’une par foyer, selon ce site spécialisé. Ils ont non pas interdit comme à Paris mais favorisé le vélo dans leur confinement limité ordonné le 22 mars .
Sans attestation obligatoire de déplacement ni interdiction formelle de sortir, mais seulement avec un appel à la discipline, ce confinement « soft » leur a permis de maitriser l’épidémie sans détruire le moral de leur population ou piétiner ses droits et sans ruiner totalement l’économie. Un sujet de Reporterre le montre bien ici. Le ministre fédéral de la Santé, Jens Spahn, a officiellement appelé les Allemands «à marcher ou prendre le vélo plutôt que les transports en commun», en complément des fameux «gestes barrières».
C’est en effet une évidence : une personne sur un vélo est seule et respecte par définition la règle de distanciation sociale d’un à deux mètres entre les individus. Le risque de contamination y est donc nul, alors qu’il est élevé dans les transports en commun. Pédaler permet par ailleurs de faire de l’exercice, ce qui améliore la capacité respiratoire. En cas d’infection, c’est une protection. De plus faire du vélo à la place de la voiture diminue la pollution, qui semble aggraver en elle-même l’épidémie. Il est possible en effet, selon certains travaux scientifiques, que la pollution aux particules fines favorise la propagation du Covid-19.
A Paris, pour l’instant, nous en sommes donc seulement à réfléchir à ces mesures de bon sens pour le vélo dans la seule perspective de l’après-11 mai, tandis que le sous-Parigot resté à Paris a pour l’instant de fait interdiction de pédaler pour son oxygénation. Par ailleurs, la RATP, la région et ses services ont favorisé durant le confinement l’agglutination des Parisiens dans les transports publics et donc la contamination de ceux qui continuent de travailler pour faire tourner le pays. Ils ont en effet limité drastiquement le service dans ces transports, comme on le voit sur le graphique ci-dessous, portant sur les métros, RER et tramways.

Après le déconfinement, Anne Hidalgo aura de toutes façons fort à faire contre ses opposants parisiens et en particulier la droite, représentée par Rachida Dati à l’élection et Valérie Pécresse à la tête de la région Ile-de-France. Dans le monde d’avant le Covid, ces élues combattaient avec virulence la politique de réduction de la voiture à Paris, au prétexte notamment qu’il s’agirait d’une politique préjudiciable aux banlieusards pauvres.
Comme si les banlieusards pauvres n’étaient pas affectés par la pollution atmosphérique qui tue 41.000 personnes par an en France, selon des estimations basses. Valérie Pécresse rêvait encore en 2018 de faire revenir les voitures sur les voies sur berge, dont la piétonnisation est un emblème du (encore léger) recul de la bagnole.
Le grand argument des élus pro-voitures était que les bagnoles ne seraient au fond pas les seules responsables de la pollution à Paris, qui serait aussi facteur des cheminées et d’autres activités industrielles. Mais nous voilà dans une expérience très concrète à cet égard. Maintenant qu’il n’y a plus de voitures, où en était-on ce 20 avril vers midi avec la pollution atmosphérique à Paris, selon l’organisme Airparif ? Par exemple pour les particules PM 10, les plus toxiques, et beaucoup liées aux bagnoles ?

Faut-il mettre la pédale douce après le confinement ? Pour ceux qui n’y verraient pas encore une évidence, on y réfléchira avec Yves Montand, bien sûr.