Aux confins – Jour 33, Le chien du confiné, ou la souffrance de la servitude volontaire

Journal d’une famille confinée à Paris 19. Aujourd’hui, observations des confinés avec chiens, d’où une réflexion sur la place de cet animal dans la société.

A Paris, le confiné a une échappatoire quand dans sa taule, il a fini de polémiquer sur les réseaux sociaux, regardé toutes les dernières séries de Netflix, lu « La peste » de Camus, fini de détruire son couple (s’il en a un) ou ruiné ses articulations dans un jogging en horaire contraint : promener le chien. Cette posture existentielle du Parisien, ce moment topique de la vie de la capitale, a pris sous le Covid une autre dimension et c’est visible dans le XIXe.

« Promenade », c’est déjà un abus quant au motif légal à viser sur « l’attestation de déplacement dérogatoire » obligatoire avec laquelle nous consentons depuis 33 jours désormais à l’abandon de nos libertés fondamentales. En effet, le Français n’est pas strictement autorisé à « promener » le chien, mais seulement à un « déplacement bref dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un km autour du domicile lié aux besoins des animaux de compagnie ».

Ce terme de « besoins » s’entend -t-il au sens strict et recouvre-t-il donc uniquement les besoins naturels (caca et pipi), ou comprend-t-il aussi le « besoin » de respirer, de se dégourdir les jambes ? La jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de le préciser. La police ferme les yeux pour le moment. Heureusement, car il est manifeste que les promeneurs de chiens, en nombre autour des Buttes et sur le bassin de la Villette, ont privilégié une interprétation assez large du motif de promenade pour « besoins » du chien.

Il y a les chiens en laisse, ceux qui ont le droit de courir, ceux qui ont même le droit de se glisser dans le parc des Buttes fermé (puis de revenir), il y a même ceux qui se baignent dans le bassin de la Villette. Il y a surtout ceux qui se rencontrent et permettent à leurs maitres de parler entre eux.

C’est devenu une sorte de roublardise, contourner la « distanciation sociale » par le biais du chien. Il se raconte qu’en Italie, les chiens se prêtaient moyennant finance dans les immeubles de Milan et de Rome pour contourner le confinement carcéral ordonné là-bas (voir ce sujet sur Euronews). Il est vrai que la rencontre amoureuse via les chiens est une sorte de fantasme de célibataires depuis le dessin animé « Les 101 Dalmatiens ». Il existe même des sites de rencontres pour propriétaires de chiens, comme Animoflirt.

On ignore si cette pratique italienne de prêt payant de chien a gagné Paris, mais force est de constater que les rencontres avec chiens, à deux ou à plusieurs personnes, deviennent une scène de genre du confinement. Ne risquent-elles pas de faire circuler le virus ? Même si un chien a déjà été testé positif en Chine, il ne semble pas pouvoir transmettre le Covid à l’homme par la bouche, estiment les scientifiques. Le virus peut cependant se retrouver dans le pelage, et quelques conseils d’hygiène sont dispensés, sans grande chance de les voir se généraliser. Passer Médor à la Javel ou au gel hydro-alcoolique ne semble guère une option et le shampoing n’est pas suffisant.

Peu importe, c’est une telle passion française et parisienne que d’héberger un chien chez soi que le gouvernement a consenti le 16 avril à rouvrir les refuges fermés dans l’urgence sanitaire, permettant ainsi un flux d’adoptions et des allées et venues, au grand bonheur des défenseurs des animaux. Ils s’inquiétaient vivement et ont exercé une importante pression médiatique sur le sujet, au moment où près de 19.000 personnes sont déjà mortes au 18 avril dans les hôpitaux et les maisons de retraite.

Il est certain qu’à Paris, et surtout dans le XIXe, royaume des logements exigus, les amoureux des chiens peuvent vivre cette situation comme une forme de mise à l’épreuve douloureuse sur la servitude volontaire que constitue leur condition.

Il y aurait entre 100.000 et 250.000 chiens dans la capitale, le premier chiffre étant une estimation de la Ville, le second résultant d’estimations d’associations d’amoureux de ces animaux. Avant le Covid, Paris était déjà considérée comme la pire ville de France pour les chiens, dans un classement de 28 cités imaginé en 2016 par le magazine « Trente millions d’amis ».

En temps normal déjà, le chien de base risque à Paris de se faire écraser, il manque d’espace dehors comme dedans, il ne voit pas souvent ses maitres qui passent l’essentiel de leurs vies dans les transports et au bureau pour exercer le plus souvent des « bullshit jobs », socialement pénibles à justifier, qui ne les rendent guère câlins. Cette vie de chien n’a donc pu que s’aggraver avec le confinement, l’état d’esprit des maîtres et des chiens se dirigeant doucement vers la dépression nerveuse. Et lorsqu’un chien est déprimé, que fait-il ? Il fait ses « besoins », comme dirait la Préfecture, sur la moquette ou sur les trottoirs délaissés par les employés du nettoyage, ou… il mord.

Ces deux actes fondamentaux (à part celui de manger) de la vie du chien constituaient déjà avant le Covid, c’est un élément assez tabou du débat public, deux graves problèmes sanitaires. A Paris, à vue de nez, c’est ainsi dix à vingt tonnes que dispersent chaque jour les centaines de milliers de chiens : un authentique casse-tête pour les services du nettoyage. Le laxisme n’est pas une option, puisque la crotte de chien contient de très nombreuses bactéries comme Escherichia coli, qui provoque de graves gastro-entérites et des infections. L’élu de base est donc acculé : il faut collecter et non pas seulement balayer dans les caniveaux les petits paquets laissés par les charmants toutous.

C’est un gigantesque marché pour les grandes sociétés, qui rivalisent d’imagination. En la matière, Jacques Chirac a longtemps tenu la palme de l’initiative dispendieuse et inutile, avec la « moto-crotte », sorte de moto-balai qu’il proposa dès mars 1977, aux débuts de ses trois mandats municipaux. Cette idée ruineuse et oiseuse (4,5 millions d’euros par an pour seulement 20% de crottes escamotées) fut abandonnée en 1982. Avant le Covid, la municipalité était revenue à une idée plus simple, responsabiliser les propriétaires de chiens, avec obligation de tenue en laisse et des amendes possibles de 68 euros en cas de non-ramassage du caca. C’est peu dire que le succès de cette politique ne saute pas aux yeux dans le XIXe et encore moins au nez, et surtout pas depuis le début du confinement, où le nettoyage des rues est moins fréquent.

Quant aux morsures, le sujet était déjà gravissime avant le Covid : selon une étude de l’Institut national de veille sanitaire (INVS) remontant à 2009-2010, ce phénomène provoque plusieurs milliers de recours aux urgences par an. Sur un échantillon de 485 morsures ayant donné lieu à hospitalisation, l’INVS avait recensé 298 cas de séquelles 16 mois après la morsure, le plus souvent esthétiques. Une personne sur sept déclarait avoir encore des douleurs. Il y avait eu 33 morts en France de 1990 à 2010 dans une attaque de chien, selon l’INVS. La mise à mort d’un enfant par un chien est chose relativement courante, comme ici un bambin de 19 mois à Bobigny en 2007.

Enfermé et donc nerveux, le chien parisien mord-t-il davantage ? Difficile de le mesurer, mais certaines sources l’affirment. « Il y a une recrudescence des morsures alors que les chiens doivent sortir en promenade en laisse et sous surveillance« , a expliqué à la presse une vétérinaire de l’Essonne. « Les maîtres se rassemblent lors des promenades, lâchent leurs chiens, ce qui provoque des bagarres, d’où les morsures« . A l’étranger, une source de l’Institut Pasteur en Tunisie a également constaté une recrudescence de 7% des morsures depuis le début du confinement.

Voilà donc le Parisien amoureux d’un chien face à son destin dans sa taule, comme ses congénères : ne servir à rien dans un bullshit job, ne rentrer chez soi que pour les « besoins » du chien, être condamné à faire rentrer un animal dangereux dans l’équation de la vie amoureuse déjà étique du bureaucrate de grande ville, dépenser une partie conséquente de son budget limité en nourriture, jouets, accessoires…. Ne doit-il pas y avoir un monde d’après le Covid, et d’après les chiens ?

On y réfléchira avec Paul Mc Cartney qui rendit jadis hommage à sa chienne Martha. Mais lui avait une vie en dehors de son animal.

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