
Journal d’une famille confinée à Paris 19. Aujourd’hui, le vacarme de l’internet, le silence, l’espoir d’aider, l’attente de foutre le camp.
Silence. Se taire. Ne plus rien regarder, ne plus rien lire, ne plus rien écouter. Au moins un instant, dans les 24 heures quotidiennes ou 23 heures et demie qu’on passe dans la taule, ne plus faire que penser. Il traine ces jours sur ces maudits réseaux sociaux cette phrase de Blaise Pascal. « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos, dans une chambre ».
Pourtant, maintenant que la moitié de l’Humanité est enfermée depuis une, deux ou trois semaines, l’Humain est pourtant toujours en proie à cette impuissance congénitale. Il s’agite désormais à temps plein dans son grand cirque devenu presque totalement virtuel. L’usage des réseaux sociaux aurait doublé, selon de premières estimations.
La catastrophe du Covid-19 est la première à survenir dans un monde qui déborde désormais d’écrans, qui étaient en 2019 déjà 5,5 en moyenne par foyer français selon une enquête du CSA. Avant le confinement, les citoyens passaient en moyenne en 2019 CINQ HEURES par jour sur ces écrans, selon une autre enquête de Santé Publique France. Il faut aussi ajouter que, selon diverses autres enquêtes, chacun de nous consulte par ailleurs son téléphone portable PLUSIEURS CENTAINES DE FOIS chaque jour, souvent pour surfer sur Facebook (37 millions de Français utilisateurs actifs fin 2019, soit plus d’un habitant sur deux), Twitter (près de 17 millions d’utilisateurs mensuels en France en 2020) et/ou d’autres réseaux.
Mes deux enfants et moi sommes au-dessus de ces chiffres, avec trois téléphones portables, une tablette, un ordinateur, une télévision et une console de jeux vidéo. Dans cet éther souvent narcissique d’angoisse, de rancoeur, d’imbécillités, de ragots, d’informations, nous avons bien sûr plongé sans réserve tous les trois. Un jour, sans doute, les historiens reliront avec délice cette folie collective et classeront ce matériau comme un témoignage.
J’avoue avoir posté des blagues idiotes, comme ce faux livre pour enfants – mais peut-être est-ce l’initiative la moins stupide du grand cirque numérique. Même les déportés de la guerre ont expliqué avoir survécu grâce à l’humour.

J’avoue, j’ai retweeté des horreurs anxiogènes postées par d’autres journalistes.

J’avoue, j’ai polémique sur la chloroquine, sujet favori de l’éther informatique depuis qu’un scientifique marseillais, Didier Raoult, a prétendu avoir découvert que ce médicament était un remède contre le Covid-19. D’autres scientifiques pensent que ses essais, dont il a retiré les morts et les disparus et à côté desquels il a « oublié » d’adosser un groupe-témoin de patients ne prenant pas de chloroquine, ne valent rien ou pas grand-chose.
A tout hasard, et dans l’attente du résultat d’autres essais plus robustes, ce médicament a été autorisé en France sous contrôle médical, à l’hôpital. Mais les réseaux sociaux se sont emballés, en prétendant débusquer un complot du pouvoir et de l’industrie pharmaceutique contre le professeur Raoult. Et tandis que des files d’attente de centaines de personnes se formaient à Marseille devant son hôpital décoré par les supporters de l’OM » d’une banderole proclamant « Marseille et le monde avec le professeur Raoult », trois patients traités à la chloroquine décédaient à l’hôpital de problèmes cardiaques, peut-être à cause des effets secondaires documentés de ce médicament.
Emporté dans ce dialogue universel imbécile, j’avoue, toute honte bue, que j’ai osé blaguer sur ce délire morbide autour d’un débat scientifique sur lequel chaque profane devrait s’abstenir.

Il est urgent de revenir dans le réel, ai-je pensé quand j’ai éteint un instant les écrans. D’abandonner cette spirale. Comment faire ? Le pouvoir, que les réseaux veulent trainer en Cour de justice pour n’avoir pas prévu et préparé suffisamment ce mauvais scénario de film de science-fiction, nous propose une voie : servir, avec la plateforme « jeveuxaider.gouv ».
En deux clics, on peut proposer ses services pour apporter des repas à des personnes âgées isolées, maintenir le lien au téléphone ou en vidéo avec celles qui n’ont plus de famille, héberger des soignants, aider à la garde de leurs enfants. Agir pour la collectivité, à la demande du gouvernement, oui, à sa demande. Qu’on ait voté ou non pour lui, qu’il ait été nul, médiocre ou simplement au niveau ordinaire d’un événement surréaliste et imprévisible. Chacun fera son choix. Il marquera chacun d’entre nous pour le monde d’après.

Ensuite, nous serons de nouveau libres, et ce ne sera pas si facile. J’opterai sûrement pour l’option chantée par ` Joel Bel, « hit the roads ». Foutre le camp. C’est loin, encore. Il nous faudra longtemps regarder par la fenêtre.
First, I looked through the window
I saw those rocks and hills, things I already know
Then I saw you, your shadow
I felt inside my veins like I had to go
Spaces I’m dreaming about are wild and
Faces we see on the moon are just like