En Hongrie, listes noires, réfractaires et « somnambules »

Deux semaines après son écrasante reconduction, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán approuve la publication d’une première liste d’ennemis du peuple désignés – qui se trouvent être souvent juifs – et espère qu’on va la compléter par d’autres. Les personnes visées rient jaune, le dernier carré des réfractaires fait le gros dos. Face à un pouvoir qui ne cache pas ses visées totalitaires, l’Europe joue les « somnambules ».

On pourra se dire que c’est arrivé par un beau printemps de 2018, quand les Français aisés commençaient leurs week-ends en Normandie ou à Arcachon et que les Hongrois entreprenaient de se prélasser au lac Balaton. Personne ne voulait vraiment y croire, et l’attention qui y fut portée fut plutôt ironique, remarquera-t-on.

L’hebdomadaire Figyelö (« L’observateur »), jadis un média respecté, aujourd’hui dirigé par une proche de Viktor Orbán, avait publié sur fond noir (photo ci-dessus) une première liste sans commentaires de 200 noms de « mercenaires de (George) Soros ». Ce milliardaire philanthrope américain d’origine hongroise est présenté par Orbán, dans une propagande incessante et des campagnes d’affichage massives financées sur fonds publics, comme l’âme d’un complot visant à noyer la Hongrie sous l’immigration.

La semaine suivante, l’hebdomadaire Figyelö a repoussé les critiques et la stupeur dans les médias du monde entier. « Nous avons mis le doigt là où ça faisait mal », s’est réjoui dans un éditorial Tamás Lànczi, le rédacteur en chef, qui pose en photo dans son costume bien taillé et sa coupe sage. Ce fut un carton de vente, l’hebdomadaire était introuvable dans les kiosques aussitôt après la sortie.

Interrogé à la radio sur cette liste le vendredi 20 avril, Orbán n’a non seulement rien désapprouvé mais a appelé à la rédaction d’autres listes, ou à la réalisation d’une liste plus à jour. « Je vois qu’il y a des débats sur le fait de mettre au jour le réseau Soros, sur certaines listes (…) j’encourage particulièrement les professionnels de la presse à faire connaître aux gens les faits, à dévoiler autant de réseaux et de collaborations que possible », a-t-il dit sur la radio publique. Elle lui sert la soupe chaque semaine d’une manière qui ferait rougir Jean-Pierre Pernaut.

Il entend faire voter dès mai une loi baptisée « Stop Soros », qui couperait les ailes des ONG étrangères et des défenseurs des droits fondamentaux en leur imposant une taxe de 25% sur leurs subventions et en encadrant leurs activités.

Dans cette optique, il est vrai que la première liste n’était pas tout à fait au point. Parmi les journalistes, militants associatifs, employés d’ONG et professeurs d’université dénoncés comme ennemis du peuple et « mercenaires de Soros », il y avait beaucoup de gens morts, quelquefois depuis très longtemps, à des dates remontant même à la période précédant le lointain premier mandat d’Orbàn (1998-2002). C’est donc qu’ils auraient eu un peu de mal à participer à un complot pour lui nuire.

Il y avait par exemple Yehuda Elkana, ancien recteur de la Central europe university, créée par Soros à Budapest en 1991, établissement qu’Orban envisage de chasser de Budapest depuis une loi votée en 2017. Sa mise en oeuvre est encore incertaine et on y attend avec angoisse le possible couperet, en préparant un possible repli sur Vienne. Yehuda Elkana est mort en 2012 et il était Israélien. Comme Soros, et comme beaucoup de gens sur la liste noire de Figyelö, il est donc juif ou supposé être juif.

Cette catégorie ou supposée catégorie semble donc au premier abord, sans qu’évidemment ce soit formulé, avoir particulièrement retenu l’attention de Figyelö. Il faut savoir  qu’en Europe centrale, on fustige souvent de manière décomplexée les juifs dans les dîners familiaux et plus encore maintenant que les gouvernements autoritaires le tolèrent.

Michael Laurence Miller, un enseignant de la CEU qui figure également sur la liste, aurait pu s’en indigner. Il connait son sujet, puisqu’il dirige le programme d’études sur le nationalisme, une spécialité de la CEU, destinée à ses débuts à former les élites de l’après-communisme et donc à familiariser les étudiants avec les vieux démons de l’Europe centrale.

Dans le si beau printemps 2018 de Budapest, il a préféré en rire, d’autant que dans les cafés où il a ses habitudes, on le salue avec un clin d’oeil et on lui lance un : « alors, sur la liste ? ». Dans cette ville de Budapest qui a donné les deux tiers de ses députés à l’opposition et où Orbán est haï, figurer sur la liste noire de ce qui est vu comme un torchon pro-Fidesz (le parti d’Orbán) fait figure de médaille.

« Je ne suis pas un mercenaire de Soros mais je suis très fier d’être sur cette liste », sourie-t-il. « Je le vois en fait comme une une sorte de reconnaissance ». Il assure que beaucoup de ses collègues de la CEU, qui n’ont pas eu les honneurs de Figyelö, sont « jaloux ». Beaucoup de monde préfère encore ricaner dans ce printemps hongrois envers Orbán, vu comme un bouffon. On préfère mépriser ses sbires de la presse, vus comme des larbins ridicules.

Michael Miller n’engagera donc aucune procédure judiciaire et il ne croit même pas que Figyelö ait eu une démarche antisémite, ni envers lui, ni envers quiconque. Il a finalement été établi que la liste avait été réalisée par simple copie de…. sites Wikipedia recensant les animateurs des organisations honnies (CEU, ONG, presse, etc…) sans aucun autre travail apparent. Des amis du pouvoir Fidesz, juifs ou supposés juifs, qui figuraient sur Wikipedia en ont été exclus.

Michael Miller remarque aussi que Orbán a tout fait pendant sa campagne pour flatter la communauté juive, par un flirt diplomatique poussé avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Lors d’une visite officielle à Budapest, Orbán lui a promis en juillet 2017 qu’il protégerait les juifs. 

Ca a tellement marché, remarque le professeur Miller, qu’un candidat Fidesz de Budapest a reçu le soutien public d’un… rabbin. Chapeau l’artiste, Viktor !

Dans le chaleur du printemps, les réfractaires sont donc plutôt hilares devant cette mascarade politique taille XXL, et c’est aussi le cas de Gábor Horváth, un sexagénaire chassé du journal de gauche Népszabadsag (« La liberté du peuple ») quand Orban l’a fait fermer en 2016, par une de ses habituelles intrigues avec ses amis oligarques, auxquelles il feint ensuite d’être étranger.

Gábor Horváth est devenu depuis rédacteur en chef de Népszava (« La voix du peuple ») , journal aux sympathies socialistes, qui est maintenant le dernier quotidien « papier » à résister à l’emprise du Fidesz et d’Orbán. « Personne n’est en prison », remarque Gábor Horváth en souriant. « Orbán a utilisé plutôt le pouvoir de l’argent. C’est plus efficace ». Certes, le Fidesz et le gouvernement n’invitent jamais ses journalistes à rien, refusent systématiquement toute sollicitation et on lui savonne copieusement la planche pour assécher ses recettes publicitaires, assure-t-il. « Mais à part ça, il n’y a rien de fâcheux ».

 

Pour 20.000 exemplaires environ vendus chaque jour, et dans une situation économique incertaine, une petite équipe tente de chroniquer la pantalonnade en cours depuis maintenant huit ans (quelques détails en anglais et en français sous les liens) : Orbán fustigeant l’Europe et gavant ses proches et jusqu’à son gendre de marchés publics financés sur fonds communautaires, Orbán couvrant la Hongrie de stades (jusqu’à son propre village) pour satisfaire son fantasme de passionné de foot, Orbán traficotant les scrutins en province en bombardant les campagnes de propagande et en organisant son petit clientélisme style XIXe siècle, Orban achetant les voix des minorités magyarophones des pays limitrophes en leur accordant la nationalité, et on en passe (beaucoup).

Ce 17 avril, Népszava, ce quotidien si « Budapest », d’intellectuels et de milieux ouverts et « mondialisés », se disait aussi que « rien ne sera possible sans la province », ces campagnes hongroises encore isolées, parfois pauvres et même misérables, dont Orbàn s’emploie à laver le cerveau.

C’était donc là qu’en étaient les Hongrois dans ce si doux printemps. Samedi 21 avril, les anti-Orbán ont manifesté à Budapest pour le second week-end consécutif, sans mot d’ordre ni slogan autre que « Mi vagyunk a többség » (« nous sommes la majorité »).

 

Que les Hongrois soient prêts à voter avec leurs pieds, et éventuellement en quittant le pays, ça ne fait aucun doute. L’hebdomadaire HVG a d’ailleurs relevé que le mouvement prenait une ampleur inédite, avec dans les 350.000 Hongrois déjà exilés. La main d’oeuvre manque à Budapest (sur le graphique, les départs vers l’Autriche en rouge, l’Allemagne en orange, le Royaume-Uni en bleu et les autres pays en gris).

Va-t-il falloir, après avoir interdit l’entrée du pays aux migrants, interdire… la sortie des Hongrois de l’autre côté ? C’est la question grinçante en forme de provocation que pose l’hebdomadaire dans sa « Une ».

Dans cette douce semaine, ont résonné aussi aux oreilles des Hongrois les mots du président français Emmanuel Macron, s’adressant aux ultra-nationalistes, devant le Parlement européen.  Orbán y est chez lui, puisque son parti siège avec la CDU allemande de Merkel et le parti de droite français LR au sein du groupe Parti populaire européen. On n’a guère entendu ces respectables élus sur la propagande complotiste et raciste de la campagne Orbán, et toujours pas davantage sur ses listes noires d’ennemis du peuple.

« Je ne veux pas faire partie d’une génération de somnambules », a dit Emmanuel Macron. Il faisait référence à un livre d’un Britannique, qui expliquait comment en 1914 des pays et leurs gouvernants ont marché vers l’Apocalypse sans le vouloir et sans s’en rendre compte.

C’était dans ce magnifique printemps 2018, presque cent ans après la fin de ce conflit maudit, se souviendra-t-on un jour. Un bel été brûlant s’annonçait dans le ciel du Danube.

2 commentaires sur “En Hongrie, listes noires, réfractaires et « somnambules »

  1. En France, les g.jaunes se plaignent, oui, mais la justice?
    Regardez cette page  »tgi de Caen » http://ellevitan.free.fr Quand vous voyez cette partialité vous vous posez des questions. ce type se drogue fait du trafic aujourd’hui il n’a même plus de permis, mais personne du TGI de Caen ne s’inquiète. . La même juge en appel, (!) personne ne s’inquiète, absolument rien à reprocher a la jeune femme personne ne s’inquiète, doit ont uniquement compter sur la CEDH? c’est la question que je vous pose aujourd’hui.
    Malgré que le  »partial de grande instance de Caen » lui ai donné la garde il est totalement absent, il habite sur Ifs et voit la petite Lou tous les 15 jours
    Lamentable Franchement lamentable.

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