Comment la justice a puni une victime de Heaulme, tueur en série

L’affaire du meurtre de deux enfants en Lorraine en 1986 s’est achevée en mai par la condamnation à perpétuité du tueur en série Francis Heaulme. Lors des 31 années de cette procédure, la justice a d’abord condamné en 1989 un innocent, Patrick Dils (qui a purgé 15 ans de prison avant d’être blanchi), puis a multiplié les aberrations. La plus mal connue est la condamnation infligée à … Chantal Beining, mère d’une des victimes, en 2011. Elle s’est vue saisir plus de 3.500 euros car elle avait osé demander des comptes pour ce fiasco judiciaire. Crocs publie les documents de l’épisode.

Le 12 mai à la barre de la cour d’assises de la Moselle, Chantal Beining, 73 ans, n’a pas pu tenir la promesse qu’elle s’était faite à elle-même. Elle a pleuré lorsqu’elle a parlé de son fils Cyril, assassiné à coups de pierre à l’âge de huit ans, le 28 septembre 1986 près de Metz, avec un autre enfant du même âge, Alexandre Beckrich.

Cyril, gamin décrit comme espiègle et plein de vie, l’appelait « Bibiche », a-t-elle raconté aux jurés. « Quand j’allais au Cora, il me disait : ‘je t’attends aux livres’. Il savait que Bibiche lui achèterait toujours quelque chose. Il n’aimait pas trop l’école. Il disait toujours : ‘c’est quand, les vacances ?’ ».

La semaine suivante, le 17 mai peu avant minuit, après trois semaines de procès, le tueur en série Francis Heaulme a été condamné à perpétuité pour ce crime par les assises de la Moselle. Ce verdict rendu peu avant minuit, après l’une des plus incroyables procédures de l’histoire judiciaire française, c’est la victoire de Chantal.

Chantal a été la seule d’abord à croire que la piste de la culpabilité de Patrick Dils, premier « coupable » condamné à perpétuité en 1989 mais acquitté lors d’un procès en révision en 2002, était bien fausse.

Pendant le procès Heaulme pourtant, la défense du tueur en série ainsi que d’autres parties civiles ont continué de ressasser jusqu’à la nausée les « aveux » de Dils ainsi que la procédure où il a été mis en cause par des policiers malhonnêtes, avec des méthodes douteuses, voire totalement irrégulières, comme lorsqu’il a été présenté à un juge d’instruction sans avocat.

Chantal s’est battue seule contre tous avec son avocate Dominique Boh-Petit pour avoir ce procès Heaulme que personne, sauf elle, ne voulait. C’est en effet du seul fait de l’appel interjeté par Chantal contre un non-lieu rendu de manière absurde au bénéfice de Heaulme, en 2007, que l’audience a pu se tenir.

La motivation de la cour d’assises lui a donné raison et a fait litière d’arguments évoqués durant quinze années, notamment lors du non-lieu rendu par le juge d’instruction de Metz Thierry Montfort, selon lesquelles les charges contre Heaulme (neuf meurtres entre 1984 et 1992 au compteur avant ce procès) auraient été vagues et insuffisantes. On la lira sous le lien ci-dessous.

Motivation Heaulme

Ainsi, comme ce fut raconté dans Sud-Ouest par moi-même ici , c’est Chantal qui a permis à la justice de faire enfin son travail après 31 ans d’aberrations. Chantal a été bien généreuse avec cette justice.

En effet, cette dernière, embourbée dans son erreur et son incurie, n’avait pourtant pas hésité à l’humilier, en la mettant à l’amende car elle lui demandait des comptes. Chantal, qui a les revenus très modestes d’une très petite employée de la Sécurité sociale à la retraite, s’est en effet vue saisir en 2011 un total de plus de 3.500 euros (1.594 euros représentant la totalité du solde créditeur à la date de l’action de l’huissier, puis encore 1.963 euros plus tard afin de solder la dette, explique Me Boh-Petit).

On prendra connaissance sous le lien ci-dessous de ce document infamant pour la justice.

Saisie opérée sur Chantal

Que reprochait-on à Chantal Beining ? Le fait d’avoir, avec Me Boh-Petit, poursuivi l’Etat pour « faute lourde du service public » de la justice. En effet, en condamnant un faux suspect, Patrick Dils, en 1989, sur la foi d’une procédure qui constituait en réalité une véritable forfaiture judiciaire, la magistrature lorraine s’était rendue coupable de nombreuses fautes.

D’abord, les vêtements des deux enfants victimes n’ont jamais été placés sous scellés et donc expertisés sérieusement, ce qui a rendu impossible plus tard les recherches d’empreintes génétiques. Le parquet général de Metz a même été jusqu’à faire détruire toutes les autres pièces à conviction, dont les pierres ayant servi au crime, en 1995 et ce alors que Dils avait déjà multiplié les demandes de révision et demandes de grâce.

La police et la justice ont aussi « escamoté », dans des conditions incroyables et inexpliquées, une quarantaine de clichés de la scène de crime, et notamment ceux qui montraient le wagon SNCF où l’assassin s’était essuyé ses mains ensanglantées (wagon qui n’a jamais été enregistré en procédure comme pièce à conviction). Ce tour de passe-passe est l’oeuvre du policier Bernard Varlet, qui s’est acharné jusqu’à l’audience Heaulme à soutenir la thèse de la culpabilité de Dils. L’épisode troublant de la disparition des photos a été raconté entre beaucoup d’autres choses dans un livre très documenté sur l’affaire. L’escamotage a rendu impossible une tentative de recherche d’empreintes digitales, déjà hasardeuse sur photo.

Chantal Beining faisait ensuite remarquer dans sa procédure que une fois Patrick Dils acquitté, la justice avait commis la faute de « traiter » les soupçons pesant sur Heaulme dans le cadre incongru d’une…. enquête préliminaire, de surcroit interminable (2002-2005), alors que l’information judiciaire est obligatoire en matière criminelle.

On a dit que l’information en question, finalement intervenue tardivement (2005-2007), s’était ensuite conclue par un non-lieu totalement lunaire : la présence d’un tueur en série sur les lieux du crime, assortie de nombreux indices a son encontre, n’était pas jugée constitutive de « charges suffisantes ».

Donc, la justice a pourtant débouté Chantal de sa procédure contre le service public de la justice, estimant qu’aucune faute n’avait été commise.

La non-conservation des vêtements ? Pas de problème, dit la cour d’appel dans son arrêt du 21 mars 2011. On ne pouvait pas savoir que ça pouvait servir. D’ailleurs, un pantalon retrouvé des décennies plus tard, n’a pas « parlé », c’est bien la preuve que tout ça n’aurait servi à rien.

La destruction des pierres ? Pas de problème, c’était légal, dit la cour. De toute façon, on avait déjà fait une expertise (bon, c’était à l’époque où la technique de l’empreinte génétique n’existait pas, mais ce point n’est pas relevé).

La disparition des clichés ? Pas de problème, rien ne dit qu’ils auraient servi à quelque chose d’utile, dit la cour.

Donc, dit en substance la cour : circulez, il n’y a rien à voir. Et pour faire bonne mesure, on va désigner – contrairement au jugement de première instance – un huissier pour faire passer le goût à Chantal Beining de venir critiquer les magistrats.

Chantal a surmonté tout cela, plus une dépression, un cancer contre lequel elle lutte encore aujourd’hui, et aussi la fin de son couple, l’éloignement de ses autres enfants lassés de ce cauchemar. Elle est passée par-dessus l’humiliation pour pousser les assises à, enfin, lui rendre justice, à elle et à son enfant.

Pendant tout ce temps, quand elle gagnait, Chantal disait à son avocate : « j’ai bien fait, hein ? ».

Oui, elle a bien fait. Car elle a prouvé, avec son avocate Dominique Boh-Petit, que la justice appartient à ceux qui la veulent. Dans son réquisitoire au procès Heaulme, l’avocat général Jean-Marie Beney a enfin soutenu l’évidence de la culpabilité du tueur en série et a rendu hommage à Chantal, tentant ainsi de sauver l’honneur de la magistrature.

« Elle n’a pas été reçue et soutenue comme elle aurait dû l’être par les représentants de l’institution judiciaire qui n’ont pas été à la hauteur, par défaut de rigueur de et d’engagement », a dit le représentant du ministère public.

Sans doute avait-il été marqué par la poignante plaidoirie de Me Boh-Petit, qui a raconté tout cela au procès. C’est la seule fois où Chantal avait cette fois pleuré pour de bon. Un torrent, comme pour engloutir enfin trente années d’horreur.

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