Le terrible cortège des victimes oubliées des Fourniret

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Le couple Michel Fourniret-Monique Olivier a tué à coup sûr bien davantage que les sept victimes qui lui ont valu la réclusion à perpétuité en 2008. La justice néglige pourtant de purger totalement ce qui pourrait être le pire parcours criminel de l’histoire judiciaire, avec des dizaines d’autres cas potentiels, notamment celui de la disparition d’Estelle Mouzin en 2003. Ce blog propose les sons et les documents d’un reportage paru dans Sud-Ouest le 9 juin.

Combien de jeunes filles Michel Fourniret et Monique Olivier ont-il tué entre 1987 et 2003 ? La justice française s’est arrêtée pour l’instant au chiffre des sept victimes retenues lors de leur procès en 2008 à Charleville-Mézières (Ardennes) pour les condamner à perpétuité. Elle néglige cependant de solder le parcours criminel atroce de ce couple diabolique, ce qui pose un triple problème moral, judiciaire et financier.

Alors qu’elle dispose d’une trentaine d’ADN inconnus mis au jour dans la fourgonnette utilisée par Fourniret pour enlever ses victimes, ainsi que d’innombrables pièces saisies en perquisition aux deux domiciles du couple, tickets de péages et facturettes susceptibles de permettre des recoupements, vêtements féminins, … aucun travail d’ensemble n’a été mené pour tenter de reconstituer le parcours criminel complet du duo de tueurs, constitué après que Monique Olivier a répondu à une simple petite annoncée passée par Fourniret alors qu’il était en détention en 1986-1987.

Les magistrats et la police négligent en outre de conduire aux procès deux dossiers précis où le tandem est mis en cause par des éléments très concrets.  Enfin, la piste Fourniret, pourtant étayée par de nombreux indices concordants, est sous-estimée dans l’emblématique affaire de la disparition de la petite Estelle Mouzin le le 9 janvier 2003 à Guermantes (Seine-et-Marne).

Ce blog propose le matériau sonore et les documents de ce reportage réalisé pour Sud-Ouest.

Pendant 16 années, de 1987 à 2003, ce couple aux apparences extérieures banales, qui a même eu en 1988 un fils, Selim, a consacré sa vie à violer et tuer des jeunes filles. Cette entreprise criminelle aurait pu rester à jamais inconnue et impunie. Sa découverte doit tout au hasard, au flair de la police belge et à une particularité de la procédure pénale de ce pays. Le héros encore méconnu de ce dossier est le commissaire Jacques Fagnard.

Comme il est possible en Belgique et non en France de soumettre des personnes déjà poursuivies à des interrogatoires de police répétés, Monique Olivier a fini par lui avouer les crimes en série au bout d’une… centaine de convocations en 2004. Fourniret avait été arrêté en Belgique le 26 juin 2003 parce qu’une fillette qu’il avait enlevée et séquestrée dans sa fourgonnette Citroën était parvenue à s’échapper et à prévenir la police.

C’est ainsi qu’on a retenu sept assassinats dans le procès de 2008, ceux de Isabelle Laville en décembre 1987 à Auxerre (Yonne), Fabienne Leroy en août 1988 près de Mourmelon (Marne), Jeanne-Marie Desramault en mars 1989 près de Charleville, la Belge Elisabeth Brichet en décembre 1989 à Namur, Natacha Danais, en novembre 1990 près de Nantes, Céline Saison en mai 2000 à Charleville, et Mananya Thumpong en mai 2001 à Sedan (Ardennes).

Inexplicablement d’abord, parquet et instruction ont refusé de retenir dans le champ de cette audience  le cas de Farida Hamiche. Fourniret a pourtant toujours admis avoir tué puis enterré en 1988 dans une forêt des Yvelines cette femme, compagne de son ancien compagnon de détention Jean-Pierre Hellegouarch, truand chevronné du célèbre « gang des postiches ». Sorti de prison en premier, Fourniret a assassiné la jeune femme à coups de baïonnette avec l’aide de Monique Olivier, après avoir exhumé le trésor des « postiches », lingots et pièces d’or.

Le dossier Hamiche dort à l’instruction à Versailles depuis dix ans de manière d’autant plus inexplicable que la Cour de cassation a écarté en 2011 la demande de prescription soulevée par l’avocat de Fourniret. Les recherches pour retrouver le corps ont buté sur la mauvaise volonté de Fourniret et apparemment la justice en reste là, si on en croit le mail envoyé – avec amabilité et célérité, mais sans trop de précisions – par le procureur de Versailles Vincent Lesclous en réponse à nos demandes.

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Il reste un autre dossier où Monique Olivier a accusé Fourniret avant de faire marche arrière, celui qui concerne Joanna Parrish, une Britannique de 20 ans étranglée en mai 1990 à Auxerre.

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Fourniret a habité à Auxerre, on sait qu’il y a tué sa première victime en 1987 (Isabelle Laville) et qu’il s’y trouvait encore par intermittence à l’époque. Bien qu’il nie ce crime, il en a curieusement livré spontanément certains détails dans ses aveux concernant d’autres affaires (quand on a tué autant de personnes, on mélange quelquefois les épisodes).

Cette instruction s’est pourtant inexplicablement enlisée, les juges d’instruction rendant même un non-lieu en 2011, cependant annulé par la cour d’appel en 2012. La procédure est en train de reprendre, avec notamment de nouvelles analyses ADN sur les scellés. Les parents Parrish attendent toujours et n’abandonneront jamais, comme ils le disent dans ce reportage télévisé de mai 2015.

Il faut encore noter que cette même procédure comprend une autre affaire, celle de Marie-Angèle Domèce, une handicapée de 19 ans disparue le 8 juillet 1988 à Auxerre et pour laquelle Fourniret fut aussi accusé par sa compagne. Elle ne fait plus semble-t-il l’objet d’aucune investigation.

Il y a par ailleurs le cas de d’Estelle Mouzin, neuf ans, le 9 janvier 2003 à Guermantes (Seine-et-Marne). Dans cette affaire, la PJ de Versailles n’a jamais vraiment cru à la piste Fourniret alors que les éléments concordants sont très nombreux . Des témoins ont fait état de la présence d’une camionnette blanche semblable à celle de Fourniret. Le tueur détenait une photo de presse de la fillette sur son ordinateur lors de son arrestation en juin 2003, quatre mois après l’affaire Mouzin. Il connaissait bien la région de Guermantes où il avait des amis et sa première épouse. Le portrait-robot d’un suspect établi par des témoins, concernant une première tentative d’enlèvement sur une autre fillette quelques jours avant Estelle et dans le même secteur, correspond aux traits de Fourniret. Enfin, le profil d’Estelle est le même que celui d’autres victimes de Fourniret et les circonstances de la disparition très semblables à celles d’autres crimes de son dossier.

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La police judiciaire de Versailles juge cependant l’hypothèse du tueur en série invalidée par un appel téléphonique passé de chez les Fourniret en Belgique au moment de la disparition, alors qu’il ne prouve rien. La police a établi que l’appel avait bien été passé au fils de Michel Fourniret. Cependant, ce dernier était absent à ce moment et son épouse ne se souvient pas de l’appel. Il peut donc très bien avoir été passé par quelqu’un d’autre, par exemple Monique Olivier. Le 20 mai dernier, après des ragots de co-détenues, elle a été entendue par la police dans ce dossier. Elle aurait alors déclaré, selon une source proche du dossier, que bien que ses souvenirs fassent défaut, il était possible que Fourniret lui ait demandé de passer un appel pour lui fournir un alibi.

Me Didier Seban, avocat du père d’Estelle, se montre sévère avec la police sur ce dossier, où aucune synthèse des recherches très disparates menées sur de multiples pistes n’a même été réalisée. L’avocat explique pourquoi ici il pense crédible l’hypothèse Fourniret et suggère une vérification simple.

Les scellés constitués après les deux perquisitions réalisés dans deux domiciles en France et en Belgique en 2003, après l’arrestation des Fourniret, dorment quelque part dans des placards, sans qu’on puisse même savoir actuellement s’ils ont été correctement conservés. Il ne manquait pourtant pas de pièces à conviction pour mener les recherches, comme on peut en lire un exemple dans un passage de l’ordonnance de renvoi du procès de 2008, ici :

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Pourquoi faut-il poursuivre les recherches sur les crimes imputables à Fourniret à partir de ces pièces ? Parce qu’ils pourraient bien être très nombreux, bien au-delà des cas détaillés plus haut. Aucun fait entre 1990 et 2000 ne lui est imputé jusqu’ici et il est presque impensable qu’il n’ait commis aucun crime dans cette période. Un rapport de gendarmerie avait recensé des dizaines de crimes ou disparitions susceptibles d’être imputés au couple de tueur et il en demeure aujourd’hui une quarantaine non résolus, selon Me Seban.

Le ministère aurait par exemple la possibilité de diffuser une circulaire à tous les parquets concernés. Il s’agirait d’informer les juges qui travaillent séparément dans toute la France, chacun sur leurs dossiers, sans avoir forcément connaissance de tout cela, qu’ils peuvent utiliser la liste des 30 ADN inconnus relevés dans la fourgonnette Fourniret, ainsi que quantités d’objets susceptibles de faire peut-être la lumière sur leur affaire. Sollicité sur ce point, le cabinet de la ministre de la Justice Christiane Taubira n’a pas répondu.

Certes, les Fourniret ne sortiront jamais de prison. Pour les familles de toutes les victimes disparues qui attendent des réponses et pour la justice, une telle recherche est cependant cruciale. Me Corinne Hermann, associée de Didier Seban, explique que le chagrin des parents de mortes ou de disparues qui restent dans le questionnement  se traduit par des dépressions, parfois des suicides et se transmet « de génération en génération ».

Elle souligne par ailleurs qu’un dossier criminel non résolu est lourd à gérer pour un cabinet d’instruction puisqu’il suppose des expertises, des sollicitations auxquelles il faut répondre. Si la justice a donc moralement tort d’ignorer désormais Fourniret, elle commet aussi une faute stratégique et économique.

4 commentaires sur “Le terrible cortège des victimes oubliées des Fourniret

  1. Ce n’est pas seulement une faute morale, stratégique ou économique, c’est du déni de justice, les familles concernées devraient aller jusqu’à la CEDH, aidées pas un crowd-funding!

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  2. bonjour,
    je suis en train de revoir une émission sur michel fourniret et je me demande toujours pour quelle raison on ne parle pas de la période 1960 1965 environ quand il a habité à Martizay dans l’indre?

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