Alors que Michel Platini est pressenti pour succéder à Sepp Blatter à la Fifa et enrayer la dérive affairiste, l’Euro 2016 en France s’avère être un sommet du foot-business. Selon une enquête de Hexagones.fr, l’épreuve organisée par l’UEFA de l’ancien n°10 des Bleus coûtera 2,5 milliards d’euros aux finances publiques, trois procédures pénales sont en cours pour corruption présumée à Lille, Nice et Lens, l’avenir de certains stades neufs ou rénovés à grands frais est déjà en cause.
Le nom de Michel Platini est sur toutes les lèvres depuis la démission-surprise de Sepp Blatter de la présidence de la Fifa le 2 juin, quelques jours seulement après sa réélection. Le président emblématique de l’organisation aux 209 Etats membres a été balayé par une double enquête judiciaire américaine et suisse qui met au jour des pratiques de corruption à échelle industrielle, apparemment courantes depuis des décennies pour l’attribution de l’épreuve-reine du premier sport mondial, la Coupe du monde.
Le président de l’UEFA s’était présenté dès la réélection controversée de Sepp Blatter comme une alternative à ce système. « Je suis dépité, j’en ai marre, je suis dégoûté », déclarait publiquement Michel Platini le 28 mai. Le Suisse venait de repousser sa proposition de passer la main avant le scrutin. Cette posture de « monsieur Propre » et de déçu du foot-business résiste cependant mal à l’examen des pratiques de l’UEFA, notamment quant à son épreuve-reine.
Hexagones.fr, le site que j’anime avec d’autres journalistes indépendants, va publier cette semaine une enquête réactualisée sur l’Euro qui débutera dans tout juste un an en France. Sur la base de calculs opérés sur les documents publics, nous confirmons que le coût pour les finances publiques françaises sera de 2,5 milliards d’euros sur les trente prochaines années et non de 290 millions comme l’UEFA et les organisateurs l’ont annoncé en 2010 moyennant une présentation trompeuse des chantiers. Nous relevons que trois enquêtes pénales sont déjà ouvertes concernant les chantiers de Lille, Nice et de Lens, où le président du club local Gervais Martel a déjà été renvoyé devant le tribunal pour corruption.
Nous présenterons aussi trois reportages qui font le point sur les stades de Lens (le club est descendu en Ligue 2 et l’avenir de cet équipement qui a coûté 70 millions d’euros en rénovation est compromis), de Marseille (où les travaux vont peser un demi-milliard d’euros sur fond de soupçons de favoritisme) et de Lyon (où malgré le caractère privé du nouveau stade des Lumières, la situation de très lourd surendettement de l’OL menace les finances publiques).
Ce blog propose ici les grandes lignes de sujet très peu abordé encore, le football-business bénéficiant d’une certaine immunité médiatique. La puissance financière de l’UEFA dépasse de loin celle de la Fifa. La saison 2013-2014 a marqué un record sur ce plan avec plus de 1,7 milliard d’euros de recettes (alors même qu’il ne s’y déroulait pas d’Euro) soit le double de la saison 2006-2007, année de l’élection de Michel Platini à la tête de l’organisation. L’organisation européenne a deux poules aux œufs d’or avec l’Euro et la Ligue des champions qui bénéficient de l’explosion des montants des droits de retransmission.
Michel Platini, qui a appris le métier à partir de 1998 quand il est devenu conseiller de Sepp Blatter au moment de son accession à la présidence de la Fifa, s’est inspiré de ses méthodes en Europe. Premier commandement du foot-business : multiplier le nombre de matches, ce qui augmente mécaniquement les rendements des différents marchés. Deuxième commandement : protéger les équipes des pays les plus riches et les plus susceptibles de provoquer un fort engouement populaire.
Le championnat d’Europe en France sera ainsi le premier à 24 équipes et non plus 16 comme depuis 1996. Sportivement, cette réforme, qui permet à près de la moitié des 54 pays membres de l’UEFA de disputer le tournoi, enlève beaucoup d’intérêt aux matches de qualification. Sauf catastrophe nucléaire, aucune des équipes sérieuses voire moyennes du continent ne pourra rater l’accession à la phase finale.
L’organisation des 51 matches de l’Euro en France nécessitera un déploiement de moyens considérables, l’UEFA demandant huit stades importants de 30.000 à 50.000 places. La France n’a pas mégoté et a emporté le morceau en 2010 grâce à un activisme forcené de Nicolas Sarkozy. Alors que la crise financière battait déjà son plein, la France avait obtenu de justesse l’organisation de l’épreuve devançant d’une seule voix la Turquie dans le vote du comité exécutif de l’UEFA.
« Ce n’est pas l’engagement de la Fédération ou de la Ligue, mais l’engagement de tout un peuple, déclarait à cette époque Nicolas Sarkozy. Nous pensons en France que le sport, c’est une réponse à la crise. C’est justement parce qu’il y a une crise, qu’il y a des problèmes, qu’il faut mobiliser tout un pays vers l’organisation de grands événements ».
Il était alors question officiellement d’un coût global de 1,7 milliard d’euros, dont seulement 290 millions d’euros de fonds publics, pour construire quatre nouveaux stades à Lyon, Lille, Bordeaux et Nice et en rénover six autres (Stade de France, Parc des Princes, Lens, Saint-Etienne, Toulouse, Marseille)
Le problème est que cette présentation était trompeuse, en raison notamment du recours à la formule du « partenariat public-privé » (PPP) pour les constructions de Lille, Bordeaux et Nice et l’aménagement de Marseille. C’est en prenant en compte les dépenses publiques dissimulées dans ce cadre qu’Hexagones a établi le véritable coût de l’Euro pour les deniers publics, soit 2,5 milliards d’euros, un chiffre qui sera explicité sur le site.
Alors que les contribuables français se sont vu imposer sous Nicolas Sarkozy, comme sous François Hollande, une austérité budgétaire faite de réductions drastiques de dépenses publiques et d’augmentations massives d’impôts, l’État et les collectivités locales se sont donc lancés dans une frénésie de dépenses. Ce chiffre de 2,5 milliards pose de nombreux problèmes.
1- Le recours aux PPP
Il faut d’abord questionner le recours à cette procédure, devenue un véritable tour de passe-passe de l’État pour dissimuler ou minimiser l’engagement de l’argent des contribuables, et pas seulement pour l’Euro 2016.
Cette formule a déjà été utilisée sous Nicolas Sarkozy pour le chantier du nouveau ministère de la Défense, celui du futur palais de justice de Paris, ou encore les nouvelles maisons d’arrêt. Le « PPP » consiste à laisser au privé la responsabilité d’avancer l’argent nécessaire à la construction, ce qui permet à l’État ou aux collectivités d’éviter de creuser leur dette et d’apparaître comme le financeur du projet. L’équipement est ensuite repayé chaque année par l’État ou par les collectivités publiques pendant 20 ans, voire 30 ans, avec une facture cumulée qui peut finalement représenter trois à quatre fois la somme initialement investie.
Au terme de ce contrat, les acteurs publics deviennent propriétaires d’un équipement nécessairement dégradé, où il faudra parfois investir aux fins de rénovation. C’est cependant une véritable mine d’or pour les géants du BTP… et les clubs privés de Ligue 1, futurs occupants des stades.
Les députés avaient d’ailleurs quelque peu toussé avant d’approuver les modifications législatives demandées en urgence pour permettre ce mode de financement, ainsi qu’on peut le lire dans ce rapport de 2011.
Des parlementaires remarquaient que l’Etat s’était désengagé par rapport à la Coupe du monde de 1998, reportant l’effort sur les collectivités locales et finançant une aide de 150 millions d’euros prélevés sur le budget du Centre national de développement du sport, consacré au principe au sport amateur.
Dans ce débat de 2011, le député socialiste Hervé Féron avait mis le doigt sur les problèmes : « on nous présente une proposition de loi à l’objet limité, qui permet d’éviter l’avis du Conseil d’État et les études d’impact, et qui déroge sur plusieurs points à la loi, en faveur d’une seule compétition et d’un petit nombre de stades. C’est une proposition de loi sur commande, qui permettra à quelques-uns de profiter de l’argent public ».
Il remarquait qu’on dissimulait l’ampleur des financements publics. « Connaissez-vous un seul supporter de football qui serait d’accord pour que ses impôts servent à construire un stade dont on sait qu’il sera par la suite surdimensionné pour le club résident ? ».
2- Le devenir des stades
C’est le deuxième problème posé par le foot-business de l’Euro 2016. Les stades ne risquent-ils pas de devenir, comme tant d’équipements sportifs payés à grand frais pour les Jeux olympiques, coupes du monde et précédents euros, des « éléphants blancs » vides ou insuffisamment remplis après les trois matches ou plus de la compétition de l’été 2016 ?
Il est certain que l’aléa sportif est important concernant un championnat dont les moyennes d’affluence tournent autour de 22.000 personnes par match lors de la dernière saison, loin derrière les compétitions européennes majeures. Le problème est déjà évident avec Lens, descendu en Ligue 2 à l’issue de cette saison 2014-2015 et dont l’avenir financier semble très compromis, en raison des problèmes de son actionnaire majoritaire azerbaïdjanais Hafiz Mammadov. Une chute beaucoup plus bas n’est pas exclue, ce qui ferait du nouveau stade rénové pour 70 millions d’euros de fonds publics le premier éléphant blanc de l’Euro.
3 – Les aléas des chantiers, les enquêtes pénales
Toutes les enceintes n’auront pas les mêmes coûts pour les collectivités. Le Parc des Princes sera rénové pour 75 millions d’euros par le Paris Saint-Germain via QSI (Qatar sports investments), à l’issue d’une convention d’occupation de 30 ans qui rapportera un million d’euros annuels à la Ville de Paris. Les petits travaux du stade de France seront réglés par le consortium Bouygues-Vinci, dans le cadre d’un PPP signé en 1995 pour 30 ans.
Le nouveau stade de Lyon, dont le propriétaire est le club de l’Olympique Lyonnais, est financé par le privé, mais fait l’objet de concours publics massifs et l’avenir est incertain du fait des 250 millions d’euros de dettes accumulées. Un étrange tour de passe-passe sur les terrains pourrait avoir coûté très cher aux contribuables lyonnais, va expliquer Hexagones.
Ce sont donc les trois autres stades neufs (Lille, Bordeaux, Nice) et leurs PPP qui font exploser le budget : 700 millions pour Lille, 350 pour Bordeaux, 300 pour Nice, selon les calculs de Hexagones. La rénovation du Vélodrome à Marseille coûtera plus de 500 millions, selon nos calculs confirmés début 2015 par la Cour des comptes.
C’est à Marseille que le dérapage est le plus grand. Après une passe d’armes, la municipalité a plié pour la question du loyer payé par le club, finalement fixé à quatre millions d’euros par an plus une part variable de 20% des recettes de billetterie si elles excèdent 20 millions d’euros. Initialement, la ville aurait souhaité huit millions d’euros pour alléger le fardeau. La fortune sportive étant très variable sur la Canebière, on risque de reparler du dossier.
Seules trois rénovations sont réalisées en maîtrise d’ouvrage publique (MOP), c’est-à-dire avec un financement intégral et direct par les collectivités et l’argent public. Ces projets sont les moins chers. Le Stadium de Toulouse (35 millions) et le stade Bollaert de Lens (70 millions) vont voir leur capacité baisser, mais leur confort s’améliorer. La rénovation du chaudron stéphanois (42.000 places) pour 75 millions d’euros était prévue avant même l’obtention de l’Euro. Pour ces stades, comme pour ceux en PPP, les collectivités ont souscrit des prêts pour leurs financements.
Des aléas judiciaires pourraient aussi ternir l’avenir des ces équipements. Les contrats de construction si juteux pourraient avoir attisé les comportements délictueux. Deux enquêtes pénales sont déjà ouvertes, une à Lille et une au parquet national financier concernant le stade de Nice.
A Lille, l’attribution du chantier à Eiffage fait l’objet de forts soupçons de malversation, et le surcoût serait d’une centaine de millions d’euros. La cour d’appel a relancé le dossier en début d’année.
A Nice, le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire à la suite d’un signalement de la chambre régionale des comptes concernant ce chantier attribué à Vinci. Le président du RC Lens Gervais Martel doit comparaître en correctionnelle en 2016 dans une affaire de corruption où il est soupçonné de liaisons frauduleuses avec deux entreprises intervenues sur le chantier du stade;
4 – L’exemption fiscale de l’UEFA
Environ 2,5 millions de spectateurs dont un million d’étrangers, 50.000 en moyenne par match, sont attendus à cet Euro. L’organisation table aussi sur huit milliards de téléspectateurs, l’épreuve étant retransmise dans 200 pays.
Si le financement des stades passe par la France, l’organisation de l’événement est financée par l’UEFA pour 400 millions d’euros du budget prévisionnel. L’organisation s’attend à encaisser un milliard d’euros de droits télévisés et 400 millions d’euros des sponsors. Elle chiffre à 500 millions d’euros les recettes prévisionnelles de billetterie et celles lui sont liées, comme elle l’expose dans ses documents officiels.
C’est une recette d’autant plus coquette que l’UEFA ne paiera aucun impôt. Elle l’a rappelé l’année dernière aux naïfs qui oubliaient que le troisième commandement du foot-business est de dicter sa loi aux Etats sur le terrain fiscal. Ceci a suscité quelques remous, vite apaisés, car on ne touche pas au sport-roi même sous une majorité de gauche. Grand seigneur, le patron de l’UEFA a cependant annoncé en octobre qu’il reverserait… 20 millions d’euros aux villes-hôtes de l’épreuve. Un véritable pourboire rapporté aux masses financières.
En réalité, la France avait-elle vraiment besoin d’une telle dépense de prestige ? Les retombées économiques indirectes de l’événement sont annoncées comme faramineuses évidemment par l’UEFA et les dirigeants politiques vivent dans le mythe de l’euphorie nationale de 1998. Les spécialistes se montrent beaucoup plus prudents et estiment que les retombées ne sont pas quantifiables dans un pays qui, Euro ou pas Euro, est de toute façon chaque été la première destination touristique du monde.
Peut-être Michel Platini devra-t-il d’abord s’expliquer sur ce problématique événement avant de prendre éventuellement la tête de la Fifa. Surtout si les Bleus échouent à remporter l’épreuve. Ils n’ont pas en effet un joueur de la trempe de Michel Platini, qui avant d’être l’apôtre du foot-business, fut le plus grand joueur français de tous les temps.