Sarkozy et les juges, les coulisses de l’avant-match

Dessin sarko poursuivi

Crocs de bouchers plonge dans les entrailles de la machine judiciaire pour tenter de dissiper un tant soit peu la cruelle incertitude qui pèse sur le sort judiciaire de Nicolas Sarkozy. Il pourrait avoir gain de cause pour un dossier, un deuxième est très incertain, un troisième reste brûlant. Le reste demeure loin de lui pour l’instant mais menace ses proches.

« Il fout les jetons à tout le monde. Les gens les ont à zéro ». Cette phrase d’un connaisseur du monde judiciaire parisien, qui ne souhaite pas être identifié, concerne les témoins autant que les magistrats. Elle donne la mesure du changement de climat intervenu depuis le retour de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP fin 2014 et la large victoire de son parti aux élections départementales de mars.

L’ancien président ne s’y trompe d’ailleurs pas. Il sait que la perspective de son retour à l’Elysée est susceptible de faire trembler les mains des juges, dont les carrières sont toujours soumises peu ou prou à la signature du chef de l’Etat, notamment s’ils entendent monter en grade au parquet. S’ils font carrière au siège, c’est le Conseil supérieur de la magistrature qui tranche certes en toute indépendance, mais chacun sait qu’il n’est pas peuplé que de purs esprits et que l’air du temps rentre aussi par ses fenêtres de temps à autre.

La nervosité est donc décrite comme palpable au pôle financier, fief des juges spécialisés du tribunal de Paris. Depuis son installation en 2000 dans cet immeuble moderne de la rue des Italiens éloigné de l’antique palais de l’île de la Cité, on se jalouse et on médit d’un bureau à l’autre. L’ambiance serait en ce moment comme encore plus orageuse qu’à l’ordinaire entre les ténors, notamment quand on aborde le cas Sarkozy.

De quoi donner de l’air au camp de l’ex-président, qui rêve de revenir à l’Elysée peut-être dans l’espoir d’y battre son record historique 2007-2012 de 700.000 chômeurs supplémentaires et de 500 milliards de hausse de la dette publique, voire même celui de François Hollande, qui semble sur la bonne voie pour placer la barre encore plus haut.

Selon le Canard enchaîné, Nicolas Sarkozy a bruyamment pavoisé début avril devant ses troupes à propos de ses ennuis. « La récré est finie. les primaires ont été annoncées, mon nouveau parti va être lancé. La machine est en marche », aurait-il déclaré à ses troupes. Dans ses commentaires officiels des résultats des deux tours des élections départementales des 22 et 29 mars, il a terminé sur le même ton martial : « l’alternance est en marche et rien ne l’arrêtera ». Probable message subliminal : rien ne M’arrêtera et surtout pas les juges. Rompez.

Crocs de bouchers a le regret cependant de lui annoncer qu’il est encore un peu tôt pour partir arroser au Fouquet’s la fin de ses soucis. Selon mes informations, s’il pourrait bien avoir raison sur un dossier, un deuxième semble très incertain et un troisième est très mauvais pour lui. Les autres affaires ne s’annoncent pas très bonnes pour ses amis mais en l’état de ce qu’on peut en connaitre, les risques y sont limités pour sa personne. Revue de détail pas follement rassurante pour les fans de l’ancien maire de Neuilly.

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1 – Le dossier des pénalités.  Cette information judiciaire ouverte en octobre 2014 concerne une sanction financière de 363.615 euros imposée à Nicolas Sarkozy par une commission en 2012, et confirmée en 2013 par le Conseil constitutionnel, pour dépassement du plafond des dépenses de campagne présidentielle. Après le « Sarkothon », un appel aux dons des sympathisants qui avait permis de récolter 11 millions d’euros pour renflouer les caisses, l’UMP avait pris en charge cette sanction en 2013, a priori contre les dispositions du code électoral. L’ex-trésorière de l’UMP Catherine Vautrin ayant déjà été mise en examen pour « abus de confiance » ainsi que l’ancien patron du parti Jean-François Copé, on s’attendait à celle de Nicolas Sarkozy et c’est pour ce motif qu’il était d’ailleurs convoqué par les juges Serge Tournaire et Renaud Van Ruymbeke. Que s’est-il donc passé pour qu’il ressorte du pôle financier le 1er avril comme témoin assisté ?

Selon les informations de Crocs de boucher, la défense a emporté le morceau en présentant un argumentaire habile : en substance, a-t-elle dit, Nicolas Sarkozy n’a pas bénéficié de l’argent de l’UMP mais des dons adressés par les Français à sa personne lors du « Sarkothon ». Le parti n’en aurait donc été que le dépositaire, il ne lui aurait rien pris et il n’y aurait donc pas « abus de confiance ». C’est une défense plutôt légère car elle oublie le fait que les dons aux partis sont déductibles des impôts pour les deux tiers. Sarkozy a donc eu recours aux caisses publiques pour payer ses ennuis, si on le suit. Les juges ont pourtant pris en compte son argument. Peut-être ont-ils aussi pensé au fait que le déclenchement de cette procédure a été au moins encouragée, voire suscitée par son rival François Fillon qui est à l’origine de la transmission du dossier au parquet. Ce n’est pas interdit, au contraire, mais ce fond d’embrouille politicienne fait désordre. Enfin, le fait que Nicolas Sarkozy ait aujourd’hui remboursé la somme au parti, certes sous la menace des rigueurs de la loi, ne change rien au délit éventuel mais constitue une circonstance favorable. Il est désormais probable que ce dossier finisse par un non-lieu général, selon une très bonne source de Crocs de boucher. Donc, Nicolas, Carla, vous pouvez mettre le Champagne au frais sur ce coup-là (mais n’invitez pas Copé).


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2 – L’affaire « Bismuth ». Nicolas Sarkozy est mis en examen pour corruption et trafic d’influence depuis juillet 2014 dans ce dossier instruit par les juges Patricia Simon et Claire Thépaut. Il a été ouvert à la faveur d’écoutes téléphoniques pratiquées initialement entre fin 2013 et début 2014 dans le cadre d’un autre dossier, celui visant l’hypothétique financement frauduleux de sa campagne de 2007 par le régime libyen. Des conversations entre Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog ont fait apparaître que ce dernier était en rapport avec un haut magistrat, avocat général à la Cour de cassation, Gilbert Azibert. Selon les transcriptions publiées par la presse, Azibert était mandaté pour se pencher sur une future audience de la plus haute juridiction française où il devait être question de l’éventuelle restitution à Nicolas Sarkozy de son agenda. Azibert devait ramener des informations, voire influer sur le cours du dossier, en échange d’un poste honorifique de magistrat à Monaco pour lequel Nicolas Sarkozy envisageait une intervention. Visiblement informé de son placement sur écoute, l’ex-président a pris ensuite une autre ligne téléphonique sous la fausse identité désormais culte de Paul Bismuth, éventée cependant par la police.

La défense a demandé l’annulation de la procédure à la chambre de l’instruction, une instance de la cour d’appel. Cette dernière a ordonné en septembre 2014, fait rare, la suspension des investigations en attendant de trancher. Lors de l’audience à huis clos en mars, le parquet général a soutenu la validité de la procédure. La défense soutient au contraire que le placement sur écoutes de l’ancien président violerait les droits fondamentaux de l’ex-chef d’Etat. Il n’y aurait eu aucun fondement pour « brancher » son téléphone, étant donné qu’aucun élément précis ne le mettait en cause dans le dossier Kadhafi. J’ai détaillé cet argumentaire de la défense dans un article publié sur Hexagones.fr quant à cette thèse du « filet dérivant » . Nicolas Sarkozy a comparé les écoutes dont il a été l’objet aux pratiques de l’ancienne politique communiste de l’ex-RDA, la Stasi.

Le problème juridique est en fait assez simple. En l’état, le code de procédure pénale et la jurisprudence donnent de très larges pouvoirs aux juges d’instruction pour un placement sur écoute dans le cadre des « nécessités de l’information ». Il n’y a pas de condition préalable, sauf pour les parlementaires, les magistrats et les avocats où il faut informer la hiérarchie. Nicolas Sarkozy étant avocat, le bâtonnier semble bien avoir été régulièrement informé comme le veut le code. Aucune conversation relative à une stratégie de défense entre lui et Me Herzog ne semble avoir été retranscrite à titre principal, mais seulement les intrigues avec Gilbert Azibert, qui ne relèvent évidemment pas de ce domaine.

Appuyée par le barreau et le bâtonnier de Paris Pierre-Olivier Sur qui a fait campagne en faveur de la thèse Sarkozy, la défense demande donc, en réalité, un changement de jurisprudence pour rogner le pouvoir du juge. Cette perspective énerve beaucoup les magistrats chargés de la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, a pu savoir Crocs de boucher. Certains autres spécialistes m’ont fait remarquer qu’au moment même où il demandait à la cour d’appel de rogner le pouvoir des juges en matière d’écoutes, Nicolas Sarkozy en réclamait davantage pour les services secrets sur le même terrain, exigeant notamment qu’ils puissent écouter les « proches des terroristes ».  En résumé : en avant les écoutes pour les autres et leurs amis, mais bas les pattes pour moi, dit Nicolas. C’est culotté comme ça qu’ils l’aiment parfois à droite.

On verra le 7 mai si la cour d’appel suit ce raisonnement. Si elle valide la procédure, c’est une bombe susceptible de faire exploser son beau plan de retour aux affaires. Si la cour annulait le dossier comme le demande la défense, le parquet général pourrait se pourvoir en cassation pour fixer une jurisprudence et rien ne serait donc terminé. Donc, Nicolas et Carla, laissez le Champagne à la cave pour l’instant sur cette affaire.

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3 – Le dossier Bygmalion. C’est le dossier le plus chaud pour l’heureux futur président de « Les Républicains », nom choisi pour gommer celui de UMP et faire oublier les turpitudes qui l’ont mise en quasi-faillite. Ca va être difficile, car sur ce dossier-là, pas d’échappatoire possible sur les faits. Les juges Serge Tournaire, Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire disposent d’aveux et de preuves matérielles. Selon ces éléments, des fausses factures ont été émises par la société de communication Bygmalion, liée à l’UMP, pour dissimuler un gigantesque dépassement du plafond des dépenses de la campagne présidentielle 2012 de Nicolas Sarkozy, 17 millions d’euros en l’état des investigations. Un faux compte de campagne aurait donc été présenté au Conseil constitutionnel, déclarant un chiffre juste en-dessous du plafond légal de 22 millions d’euros alors qu’avaient en réalité été dépensés donc… près de 40 millions. Une pléiade de dirigeants de l’UMP et de Bygmalion sont déjà mis en examen, dont trois anciens responsables de la campagne. Il faut noter dans les chefs de poursuite celui « d’escroquerie ». Il pourrait être fatal à Nicolas Sarkozy. En effet, s’il paraît certes intellectuellement peu crédible de nier avoir connu les fausses factures, c’est peut-être juridiquement  soutenable sur le mode : « un candidat ne s’occupe pas de l’intendance ». Il est en revanche plus difficile, voire impossible de renier un faux compte de campagne présenté au Conseil constitutionnel et signé Sarkozy, pour obtenir une dizaine de millions d’euros de remboursement public, ce qui est qualifié par les juges « d’escroquerie ». L’interrogatoire de l’ancien chef de l’Etat s’annonce donc chaud. Nicolas et Carla, préparez donc quelques séances de « justice-training » sur ce coup là et laissez le Champagne chez le fournisseur.

On pourrait aussi parler des multiples autres dossiers qui menacent les amis de Nicolas comme Claude Guéant, François Pérol,…. Pour l’instant, l’ancien président n’y est pas en première ligne.

A chaque post suffit donc sa peine pour Carla et Nicolas. Il en sera question une autre fois mais en attendant, nous les invitons à lire à ce sujet mon excellent papier de Sud-Ouest sur le sujet, avec un petit dessin très clair ainsi que l’article sur Hexagones concernant cet aspect de leurs soucis. (liens payants, imputations possibles sur notes de frais de Les Républicains).

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