Le document oublié qui « mouche » les révisionnistes de l’affaire d’Outreau

daniel-legrand-fils

Avant l’ouverture lundi 18 mai du troisième procès de l’affaire de pédophilie d’Outreau, fiasco historique de la justice française, les adeptes de la thèse des « faux innocents » relèvent la tête. Crocs de boucher dissèque un document officiel oublié, de nature à leur clouer le bec. Il pose une question éludée sur le vrai sens de cette catastrophe judiciaire.

Le révisionnisme ne se combat pas, il se gifle. Vieux grognard de ce dossier, l’animateur de Crocs de boucher est en mesure d’offrir ce moment toujours jubilatoire à ses lecteurs en mortifiant symboliquement les défenseurs de la thèse des « faux innocents » de l’affaire de pédophilie d’Outreau. Ils s’apprêtent en effet à sortir du bois lundi, quand s’ouvrira un nouveau procès pour l’un des 13 acquittés des deux procès de 2004 et 2005, Daniel Legrand, devant la cour d’assises des mineurs à Rennes.

Il s’agit d’une scorie, d’un reste de dossier. Disjoint à l’issue de l’instruction car il concernait une période où l’accusé Daniel Legrand était mineur, ce relief de procédure doit être jugé par une autre juridiction avec des règles légèrement différentes. C’est la loi. Vu que les deux procès de 2004 et 2005 ont déjà démontré catégoriquement que l’accusation ne tenait pas debout pour les 13 acquittés (quatre autres accusés ont été condamnés), le parquet aurait cependant pu s’endormir dessus.

Peut-être aidée par une prégnance révisionniste certaine dans la magistrature, des parties civiles en ont voulu autrement et ont obtenu du parquet qu’il se plie à l’obligation théorique de programmer ce procès. Il est vrai que les amateurs de la thèse des « faux innocents » montent graduellement en puissance depuis une décennie. Ils ont désormais une littérature et un documentaire « Outreau, l’autre vérité », sorti en 2013. Avec en tête l’association « Innocence en danger » , la mouvance prétend faire apparaître la supposée vérité cachée du dossier et faire condamner à Rennes Daniel Legrand.

Crocs de boucher exhume à leur intention un document injustement oublié, de nature à éclairer les débats. Il s’agit d’un rapport remis en mai 2006 par l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), le corps d’inspection du ministère, sur « les conditions du traitement judiciaire de l’affaire dite d’Outreau » Ce rapport n’a jamais été lu et encore moins disséqué dans les médias, car on n’en avait retenu à l’époque que sa conclusion sur les magistrats de l’affaire : l’Inspection excluait toute faute disciplinaire.

Le ministère de la Justice devait quand même faire traduire ensuite devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) le juge Burgaud et le procureur de Boulogne-sur-Mer Gérald Lesigne. Ils devaient être sanctionnés très symboliquement certes, mais sanctionnés quand même, réprimande pour Burgaud, déplacement d’office pour Lesigne.

En apparence donc, l’Inspection avait joué le rôle du méchant organe corporatiste dans le dossier, couvrant les aberrations des magistrats, pendant que le CSM enfilait la tenue du gendarme inflexible quoique très bienveillant, en  examinant avec sévérité la procédure d’instruction dans son rapport tout en refusant de châtier véritablement les deux principaux acteurs.

A y regarder de plus près aujourd’hui,  l’Inspection est la seule à avoir traité avec l’agressivité nécessaire – même si on peut lui reprocher de n’en avoir tiré aucune conclusion – un point fondamental et méconnu de cette instruction absurde : le fait que les enfants et la déséquilibrée Myriam Badaoui, dont les accusations fondaient les poursuites, avaient mis en cause sur procès-verbal au total… près de 90 personnes. C’est abordé benoitement en apparence dans ce passage, page 55 :

capture 1 IGSJ

Pour une petite ville comme Boulogne, voilà un réseau pédophile bigrement étoffé. Daniel Legrand, sans rapport avec Outreau et les autres suspects, avait d’ailleurs lui-même été mis en cause par une mystérieuse mention portée sur une liste écrite par un enfant, « Dany legrand en Belgique ».  Il avait été arrêté, ainsi que son père qui portait le même nom que lui, car les policiers étaient tombés sur son nom dans un fichier du fait d’une vieille affaire de chèque sans provisions. Pourquoi eux et pas les 70 autres ? Y’avait-il des critères ? L’Inspection s’avoue perplexe.

capture 2 IGSJ

Avec des critères déjà passablement flous, le travail n’a pas été satisfaisant, constate l’Inspection, avec des statistiques effarantes.

capture 3 IGSJ

Non seulement le juge Burgaud n’avait pas de méthode claire, mais il a donc tout simplement « oublié » de vérifier beaucoup des multiples mises en cause. Surtout, il a « omis » de se demander si à ce niveau statistique de dénonciations, on pouvait continuer à se fier aux enfants et à Badaoui. C’est fâcheux, d’autant qu’aucun autre acteur, du parquet à la cour d’appel, n’a songé bizarrement à lui suggérer.

Cette attitude est d’autant plus troublante qu’en 2002, Burgaud a par ailleurs disjoint dans une autre information judiciaire l’enquête sur un meurtre d’enfant imaginaire inventé par Daniel Legrand. Ce dernier avait tenté au printemps 2002, par cette méthode certes discutable, de faire apparaître l’incongruité de ce dossier qui crevait pourtant les yeux. Peine perdue, Burgaud et les autres ont oublié ce nouveau dossier dans un placard après un cirque de vaines fouilles avec engins de chantier à Outreau. L’Inspection documente cet autre « oubli » qui ne prendra fin que quand le scandale aura éclaté, en 2005.

capture IGSJ meurtrePourquoi le juge Burgaud a-t-il oublié tous ces éléments fondamentaux de l’instruction, se demande l’Inspection ? Pourquoi envoyer en détention une grosse poignée de dénoncés, quand un tombereau d’autres n’avait pas été inquiété ? Les détenus pouvaient légitimement se poser des questions sur le juge, écrit l’Inspection.

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« Incompréhension », bel euphémisme quand on s’imagine dans la peau des dénoncés malchanceux qui moisiront en détention des années.

Ce qu’ils ne pouvaient pas savoir, c’est que Fabrice Burgaud avait à faire ailleurs au printemps 2002 : un prestigieux nouveau poste l’attendait à Paris, au parquet antiterroriste. Il y posera ses valises en septembre 2002. Mazette, c’était bien mieux que dans ce petit tribunal anonyme de Boulogne. Il n’allait donc pas s’embarrasser avec le règlement final de cette instruction où il avait pris ses galons et s’était fait remarquer en haut lieu. Des remises en liberté et la remise en cause de l’hypothèse du réseau, qui s’effondrait pourtant, auraient fait un peu tâche dans cette carrière qui s’annonçait prometteuse.

Burgaud était donc pressé. Qu’avait-il en tête ? Se trompait-il ? Ou était-ce pire ? C’est la seule et terrible interrogation qui demeure vraiment dans ce dossier.

Personne n’a jamais, au fond, examiné l’hypothèse qu’il ait cyniquement et consciemment laissé derrière lui une erreur, en pensant que d’autres feraient le sale travail. Quand il part, pourtant, ce dossier est lourd de 16 détenus, d’un mort en détention (François Mourmand en 2002), d’un meurtre imaginaire, de dénonciations en rafale faites par des enfants qui apparaissent de plus en plus comme délirants. Les expertises médicales infirment les accusations de viols, mettant au jour – on pardonnera la trivialité ici nécessaire à l’expression de la vérité de l’affaire – des anus d’enfants intacts alors qu’ils sont censés avoir été pénétrés par des hommes, des ânes, des moutons, d’autres animaux, des fourchettes, des baguettes de pains et des sextoys. (tout cela est au dossier)

En dépit d’un dossier qui tourne au tragi-comique, Burgaud prend donc la fuite, laissant la rédaction de l’ordonnance de renvoi aux assises à son successeur, relève l’Inspection. La police judiciaire de Lille vient pourtant de lui rendre un rapport infirmant une large partie des accusations quant à l’existence d’une ferme et d’orgies pédophiles en Belgique. Il n’en tient aucun compte en refermant brutalement l’enquête.

capture IGSJ fuite de BurgaudCet avis de fin d’information est d’ailleurs si précipité que le successeur de Fabrice Burgaud devra le refaire, lit-on encore.

capture cloture outreau

La broyeuse judiciaire est pourtant en marche et ne s’arrêtera qu’aux cours d’assises de 2004 à Saint-Omer et 2005 à Paris. Dans l’intervalle, la plupart des innocents resteront en prison, pendant que les dénoncés de la dernière heure heureusement oubliés de Burgaud pousseront le soupir de soulagement qu’on imagine.

Burgaud, qui avait refusé de s’expliquer devant l’Inspection, est aujourd’hui toujours dans la magistrature, dans un placard doré de la Cour de cassation. Les révisionnistes l’aident peut-être quelquefois à dissiper les fantômes qu’il doit voir parfois planer près des beaux plafonds peints.

(voir ici l’intégralité du rapport de l’IGSJ : rapport outreau IGSJ)

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Un commentaire sur “Le document oublié qui « mouche » les révisionnistes de l’affaire d’Outreau

  1. bonjour,
    Citoyenne lambda, pas très maline ni très bien informée, je nageais depuis des lustres dans cette « affaire d’Outreau » sans bien comprendre comment on a pu se fourvoyer à ce point. Cet article illumine enfin mon cerveau fatigué, je me sens mieux après l’avoir lu. Je voyais bien de pauvres gamins rendus fous par des sévices infligés par ceux qui devaient les aimer, des gamins qui préféraient accuser la terre entière plutôt justement que leurs parents, ça je comprenais. Qu’un juge se fasse balader par une manipulatrice, même bien perverse je n’ai jamais pu y croire, la jeunesse du juge n’explique pas tout. Grâce à cet article tout se met en place. Merci.

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